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"passe ton bac d'abord ", cours 2° : utopie, dystopie, uchronie.

Objet d’étude : Les genres de l’argumentation  

1-Petite histoire de l’argumentation

2- Les genres de l’argumentation

3- L’art d’analyser un texte argumentatif

4- Le vocabulaire de l’argumentation

5- Cours Utopie, Dystopie, Uchronie

6- Mouvement : Les Lumières

7- Lectures analytiques:

  • Voltaire, Candide , Eldorado (XVIII°)
  • Voltaire, De l’horrible danger de la lecture (XVIII°)
  • Montesquieu, Lettres persanes , Les Troglodytes (XVIII°)
  • Hugo, Paris-Guide, XIX°
  • Roth, Le Complot contre l’Amérique , 2004

8- Œuvre cursive  : C. MacCarthy, La Route , 2008

9- Documents complémentaires

10- Histoire des Arts  : Fard de David Alapont et Luis Briceno (2009)

11. Dystopies au cinéma

12-   Entrainement EAF

13- Quiz argu

sujet de dissertation utopie

DEFINITIONS   : Utopie, dystopie, uchronie

C’est à Thomas More que l’on doit le mot « Utopia » , construit à partir du grec ou : « non, ne…pas » et topos, « région, lieu ». L’utopie est donc   ce qui n’est nulle part. Le pays de nulle part. Ce qui n’est « en aucun lieu ».  

Au XVIII° , l’utopie désigne un gouvernement imaginaire. Au XIX°, elle va désigner un projet politique ou social qui ne tient pas compte de la réalité .

Et aujourd’hui, l’utopie désigne un projet irréalisable

Puis le genre va se diversifier et naitront les dystopies (du grec dus , exprimant une idée de difficulté, de trouble et des contre-utopies…

sujet de dissertation utopie

Thomas More (1478-1535)     est un juriste, historien, philosophe, humaniste, théologien et homme politique anglais.  Grand ami d’Érasme, érudit, philanthrope, il participa pleinement au renouveau de la pensée qui caractérise cette époque, ainsi qu’à l’humanisme , dont il fut le plus illustre représentant anglais. Thomas More est aussi connu pour son essai politique et social    Utopia (L’Utopie). Celui-ci n’est toutefois qu’un élément d’une œuvre écrite considérable : traductions du grec, épigrammes latines, poésies, traités, mais aussi des ouvrages qui témoignent d’une spiritualité profonde. (D’après Wikipédia)

Thomas More, Utopia, 1516  

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Chaque maison a deux portes, celle de devant donnant sur la rue, celle de derrière sur le jardin. Elles s’ouvrent d’une poussée de main, et se referment de même, laissant entrer le premier venu. Il n’est rien là qui constitue un domaine privé. Ces maisons en effet changent d’habitants, par tirage au sort, tous les dix ans. Les Utopiens entretiennent admirablement leurs jardins, où ils cultivent des plants de vigne, des fruits, des légumes et des fleurs d’un tel éclat, d’une telle beauté que nulle part ailleurs je n’ai vu pareille abondance, pareille harmonie. Leur zèle est stimulé par le plaisir qu’ils en retirent et aussi par l’émulation, les différents quartiers luttant à l’envi à qui aura le jardin le mieux soigné. Vraiment, on concevrait difficilement, dans toute une cité, une occupation mieux faite pour donner à la fois du profit et de la joie aux citoyens et, visiblement, le fondateur n’a apporté à aucune autre chose une sollicitude plus grande qu’à ces jardins. 
  Quelques exemples d’utopies :
Leonard de Vinci (1452-1519) 

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” Et sache que si quelqu’un voulait parcourir la ville en utilisant uniquement les rues hautes, il pourrait le faire commodément ; et de même celui qui voudrait ne prendre que les basses. Dans les rues hautes ne doivent passer ni chariots, ni autres véhicules semblables : ces rues ne servent qu’aux personnes de qualité. Dans les rues basses passeront les chariots et autres transports destinés à l’usage et aux commodités du peuple. “

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    Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain , 1794.

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” Il arrivera donc, ce moment où le soleil n’éclairera plus, sur la terre, que des hommes libres, et ne reconnaissant d’autre maître que leur raison ; où les tyrans et les esclaves, les prêtres et leurs stupides ou hypocrites instruments n’existeront plus que dans l’histoire ou sur les théâtres. “

Jonathan SWIFT, Les Voyages de Gulliver , 1726.

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Enseigner les mathématiques
 De là nous entrâmes dans l’école de mathématiques, dont le maître se servait pour instruire ses disciples d’une méthode que les Européens auront de la peine à s’imaginer : chaque démonstration était écrite sur du pain à chanter, avec une certaine encre de teinture céphalique. L’écolier à jeun avalait ce pain à chanter, et pendant trois jours, il ne prenait qu’un peu de pain et d’eau. Pendant la digestion du pain à chanter, la teinture céphalique montait au cerveau et y portait la proposition. Cependant, cette méthode n’avait pas eu beaucoup de succès jusque-là ; mais c’était, disait-on, parce que l’on s’était trompé quelque peu dans le quantum satis, c’est-à-dire dans les doses de la composition, ; ou parce que les écoliers, malins et indociles, au lieu d’avaler le bolus, qui leur semblait nauséabond, le jetaient de côté ; ou, s’ils le prenaient, ils le rendaient avant qu’il eût pu faire son effet ; ou bien enfin parce qu’ils ne pouvaient s’astreindre à l’abstinence prescrite.

Une adaptation très…libre du roman de Swift

Du grec dun, « difficulté, trouble ». Il signifie une société troublée et dominée par une idéologie totalitaire.

La dystopie désigne ce qui n’est plus à sa place.

C’est un récit de fiction qui décrit une société où le bonheur est impossible. Il s’agit souvent d’un monde régi par un pouvoir  dictatorial ,  totalitaire qui prive les citoyens de leur liberté.

La dystopie montre parfois un monde  post-apocalyptique , comme dans La Route de C. McCarthy. 

La dystopie cherche à faire réfléchir le lecteur  sur certaines menaces qui pèsent sur la société à l’époque où il vit. 

Le héros d’une dystopie est celui qui refuse le système et qui se révolte contre lui. Sans nécessairement gagner…

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  Quelques exemples de dystopies :

  huxley (1894 – 1963), le meilleur des mondes , 1932.

Cette dystopie décrit un monde administré par un État mondial dans lequel tout est   contrôlé. L’homme est créé en laboratoire et la génétique est utilisée pour contrôler l’individu. Chacun appartient, selon ses capacités, à une caste particulière…

« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. II suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes.  

  R. Barjavel (1911 – 1985), Ravage, 1943

Le roman  se passe en 2052, dans un Paris dont la population est dominée et dépendante des machines et de la technologie. Mais un jour, une panne d’électricité vient paralyser le monde. 

Un homme part alors pour la Provence pour créer une nouvelle société, libérée des machines, vivant du travail de la terre …

L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter.

Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie ! Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. II est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.

On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.

Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires du bonheur. L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau. Il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu.

Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutienne devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant, qu’il est très facile de corrompre un individu subversif. Il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir. »

Aldous Huxley – 1939

  G. Orwell (1903 – 1950), 1984

Ecrit en 1948, le roman 1984 ,   se passe à Londres en 1984, comme l’indique le titre du roman.

Le monde, depuis les grandes guerres nucléaires des années 1950, est divisé en trois grands « blocs » : l’Océania (Amériques, îles de l’Atlantique, comprenant notamment les îles Anglo-Celtes, Océanie et Afrique australe), l’Eurasia (reste de l’Europe et URSS) et l’ Estasia  (Chine et ses contrées méridionales, îles du Japon, et une portion importante mais variable de la Mongolie, de la Mandchourie et du Tibet 5 ) qui sont en guerre perpétuelle les uns contre les autres. Ces trois grandes puissances sont dirigées par différents régimes totalitaires revendiqués comme tels, et s’appuyant sur des idéologies nommées différemment mais fondamentalement similaires : l’Angsoc (ou « socialisme anglais ») pour l’Océania, le « néo-bolchévisme » pour l’Eurasia et le « culte de la mort » (ou « oblitération du moi ») pour l’Estasia. Tous ces partis sont présentés comme communistes avant leur montée au pouvoir, jusqu’à ce qu’ils deviennent des régimes totalitaires et relèguent les prolétaires qu’ils prétendaient défendre au bas de la pyramide sociale. À côté de ces trois blocs subsiste une sorte de « Quart-monde », dont le territoire ressemble approximativement à un parallélogramme ayant pour sommets Tanger, Brazzaville, Darwin et Hong Kong. C’est le contrôle de ce territoire, ainsi que celui de l’Antarctique, qui justifie officiellement la guerre perpétuelle entre les trois blocs.

 (Source Wikipedia)

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 Michel Houellebecq (Né en 1956), Soumission

Un parti musulman remporte la présidentielle contre le Front national… Le Front national de Marine Le Pen, qui a déjà perdu le scrutin de 2017, subit la loi d’une alliance UMP, UDI, PS, associée à la Fraternité musulmane, parti inventé par l’auteur. Son leader, Mohammed Ben Abbes, finit par être élu et choisit François Bayrou comme premier ministre.

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Du grec ou, « ne pas », et du terme chronie, « le temps ». Il signifie « un lieu où plus rien n’arrive d’imprévu, d’anormal ». Il décrit un temps révolu ou non encore avenu.

Quelques exemples d’Uchronies

   Le Maître du haut château de Philip K. Dick (1962)   

Les Américains perdent la guerre dès l’attaque de Pearl Harbor en 1941. Les Japonais et les Allemands se partagent donc la domination du monde. Mais une étrange rumeur se propage selon laquelle, « Le maître du haut château », un personnage étrange aurait écrit un livre dans lequel les Alliés auraient gagné la guerre.

sujet de dissertation utopie

  Philip Roth, écrivain américain   Le Complot contre l’Amérique (2004),

Il imagine que le grand aviateur Charles Lindbergh est un sympathisant nazi, qui parvient à battre Roosevelt  aux élections de 1941. Il va plonger les États-Unis dans un régime totalitaire fasciste.   

Texte 1 : Voltaire (1694 – 1778), Candide, L’Eldorado, ch. XVIII

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François-Marie Arouet (Voltaire) est issu d’un milieu bourgeois, son père était notaire.

Il fait de brillantes études. Une altercation avec le chevalier Rohan-Chabot le conduit à la Bastille, puis le contraint à un exil de trois ans en Angleterre. Il y découvre une nation ou la liberté d’expression est plus grande et le système politique plus représentatif. Il ne l’oubliera pas. Il s’engagera dans une philosophie réformatrice de la justice et de la société .

De retour en France, Voltaire poursuit sa carrière littéraire et s’applique à dénoncer les travers de son temps pour transformer la société. Dans les Lettres philosophiques (1734), il critique la guerre, les dogmes chrétiens et le régime politique en France, basé sur le droit divin.

Son conte, Zadig , l’oblige à s’exiler à Potsdam sur l’invitation de Frédéric II de Prusse, puis à Genève. Voltaire s’installe définitivement à Ferney , près de la frontière Suisse, où il reçoit toute l’élite intellectuelle de l’époque tout en ayant une production littéraire abondante.

En 1759, Voltaire publie Candide .Il l’appelle une « coïonnerie » et n’imagine pas que cette œuvre sera sans contexte l’une des plus connues du XVIII° !

 S’indignant devant l’intolérance, les guerres et les injustices qui pèsent sur l’humanité, il y dénonce la pensée providentialiste et la métaphysique de Leibniz.

Il combat inlassablement pour la liberté, la justice et le triomphe de la raison (affaires Calas, Sirven, chevalier de la Barre…).

En 1778, il retourne enfin à Paris et meurt peu de temps après.

Esprit universel ayant marqué le siècle des “ Lumières “, défenseur acharné de la liberté individuelle et de la tolérance, Voltaire laisse une oeuvre considérable.   

Texte : Candide, ch. Eldorado

Candide, L’Eldorado

Eldorado incarne l’âge d’or, un lieu séduisant et idyllique. On y refuse le gain et donc la cupidité. L’organisation sociale est harmonieuse, fondée sur le communautarisme : pourtant cela reste qu’une vision idéalisée d’une société impossible. 


Candide et Cacambo qui ont fui les jésuites au Paraguay, sont épuisés et égarés. Ils se laissent porter par le courant d’un fleuve et arrivent par hasard au pays de L’Eldorado …

Candide et Cacambo montent en carrosse ; les six moutons volaient, et en moins de quatre heures on arriva au palais du roi, situé à un bout de la capitale. Le portail était de deux cent vingt pieds de haut, et de cent de large ; il est impossible d’exprimer quelle en était la matière. On voit assez quelle supériorité prodigieuse elle devait avoir sur ces cailloux et sur ce sable que nous nommons or et pierreries. Vingt belles filles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descente du carrosse, les conduisirent aux bains, les vêtirent de robes d’un tissu de duvet de colibri ; après quoi les grands officiers et les grandes officières de la couronne les menèrent à l’appartement de Sa Majesté au milieu de deux files, chacune de mille musiciens, selon l’usage ordinaire. Quand ils approchèrent de la salle du trône, Cacambo demanda à un grand officier com- ment il fallait s’y prendre pour saluer Sa Majesté : si on se jetait à genoux ou ventre à terre ; si on mettait les mains sur la tête ou sur le derrière ; si on léchait la poussière de la salle ; en un mot, quelle était la cérémonie. « L’usage, dit le grand officier, est d’embrasser le roi et de le baiser des deux côtés. » Candide et Cacambo sautèrent au cou de Sa Majesté, qui les reçut avec toute la grâce imaginable, et qui les pria poliment à souper. En attendant, on leur fit voir la ville, les édifices publics élevés jusqu’aux nues, les marchés ornés de mille colonnes, les fontaines d’eau pure, les fontaines d’eau rose, celles de liqueurs de canne de sucre qui coulaient continuellement dans de grandes places pavées d’une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du gérofle et de la cannelle. Candide demanda à voir la cour de justice, le parlement ; on lui dit qu’il n’y en avait point, et qu’on ne plaidait jamais. Il s’informa s’il y avait des prisons, et on lui dit que non. Ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir, ce fut le palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d’expériences de physiques.
Texte 2 : Voltaire, De l’horrible danger de la lecture, 1765
Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu mouphti [1] du Saint-Empire ottoman, lumière des lumières, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront, sottise et bénédiction. Comme ainsi soit que Saïd-Effendi, ci-devant ambassadeur de la Sublime-Porte [2] vers un petit État nommé Frankrom, situé entre l’Espagne et l’Italie, a rapporté parmi nous le pernicieux usage de l’imprimerie, ayant consulté sur cette nouveauté nos vénérables frères les cadis [3] et imans de la ville impériale de Stamboul, et surtout les fakirs connus par leur zèle contre l’esprit, il a semblé bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathématiser [4] ladite infernale invention de l’imprimerie, pour les causes ci-dessous énoncées. 1° Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés. 2° Il est à craindre que, parmi les livres apportés d’Occident, il ne s’en trouve quelques-uns sur l’agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu’à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d’âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la saine doctrine. 3° Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d’histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l’imprudence de rendre justice aux bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l’équité et l’amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place. 4° Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d’éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance. 5° Ils pourraient, en augmentant le respect qu’ils ont pour Dieu, et en imprimant scandaleusement qu’il remplit tout de sa présence, diminuer le nombre des pèlerins de la Mecque, au grand détriment du salut des âmes. 6° Il arriverait sans doute qu’à force de lire les auteurs occidentaux qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir, nous serions assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat énorme contre les ordres de la Providence. À ces causes et autres, pour l’édification des fidèles et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur prenne de s’instruire, nous défendons aux pères et aux mères d’enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément de penser, sous les mêmes peines; enjoignons à tous les vrais croyants de dénoncer à notre officialité [5] quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et net. Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon l’ancien usage de la Sublime-Porte. Et pour empêcher qu’il n’entre quelque pensée en contrebande dans la sacrée ville impériale, commettons spécialement le premier médecin de Sa Hautesse, né dans un marais de l’Occident septentrional; lequel médecin, ayant déjà tué quatre personnes augustes de la famille ottomane, est intéressé plus que personne à prévenir toute introduction de connaissances dans le pays; lui donnons pouvoir, par ces présentes, de faire saisir toute idée qui se présenterait par écrit ou de bouche aux portes de la ville, et nous amener ladite idée pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel châtiment qu’il nous plaira. Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l’an 1143 de l’hégire [6] .
  • [1] mouphti = chef suprême de la religion ottomane
  • [2] Sublime Porte = empire ottoman
  • [3] cadi = juge
  • [4] Bannir, interdire
  • [5] officialité = tribunal ecclésiastique français correspondant au diocèse sous la direction d’un évêque
  • [6] hégire = début de l’ère musulmane (an 622 de l’ère chrétienne)

  Prolongements :

L’autodafé…une manie  très ancienne de tous les pouvoirs !

nom masculin

  • Cérémonie où des hérétiques étaient condamnés au supplice du feu par l’Inquisition.
  • Action de détruire par le feu. Un autodafé de livres.
Autodafé et religion

sujet de dissertation utopie

« Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé ; il était décidé par l’université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler ».

Voltaire, Candide , Chapitre VI

 FAHRENHEIT 451
  • Fahrenheit 451 , Bradbury en 1953
  • Version filmique de Truffaut en 1966.


Ray Bradbury , né en 1920, est l’écrivain de science-fiction le plus connu au monde. Ses romans et ses nouvelles ont été lus à des millions d’exemplaires dans presque toutes les langues de la planète. Passionné par l’image, il est aussi l’auteur de plusieurs scénarios pour le cinéma, dont celui de Moby Dick (John Huston), et a adapté nombre de ses récits pour la scène et la télévision.

Fahrenheit 451 se situe dans un état totalitaire, dans un futur indéterminé, où les livres considérés comme dangereux, sont interdits et brûlés. Le titre du roman fait d’ailleurs référence à une température en degrés Fahrenheit, qui selon l’auteur est celle où le papier s’enflamme et se consume (451 degrés Fahrenheit, soit environ 232,7 degrés Celsius).

Ce sont les pompiers qui se chargent des autodafés, dont le héros du roman, Guy Montag est un des pompiers les plus chevronnés de sa compagnie. Mais un jour, Montag   se met à en lire, refuse le bonheur obligatoire et rêve d’un monde perdu où la littérature et l’imaginaire ne seraient pas bannis. Devenant du coup un dangereux criminel…

“Dans la science-fiction, on rêve” , avait dit Bradbury au  New York Times .  “Dans le but de coloniser l’espace, de remodeler nos villes (…), de résoudre tout un nombre de problèmes, nous devons imaginer l’avenir, y compris les nouvelles technologies dont nous avons besoin.”  Mais il n’était pas qu’un poète du futur :   “la science-fiction, c’est aussi un bon moyen de prétendre écrire sur le futur alors qu’en réalité on attaque le passé récent et le présent.”

“Il a été le premier écrivain à représenter la science et la technologie à la fois comme une bénédiction et une abomination”,  a rappelé le  New York Times . 

  Les nazis et les livres :

Le 10 mai 1933, les ouvrages des plus grandes figures intellectuelles germanophones du XXe siècle partaient en fumée dans toute l’Allemagne. Adolf Hitler était au pouvoir depuis moins de quatre mois. Ces autodafés marquaient la “décapitation intellectuelle” du pays.

20.000 livres brûlés à Berlin

sujet de dissertation utopie

Face à l’une des plus prestigieuses facultés allemandes, l’Université Humboldt, 20.000 livres furent brûlés le 10 mai 1933. Ce soir-là, vers 23h, des ouvrages de Sigmund Freud, Heinrich Mann, Karl Marx, Kurt Tucholsky, entre autres, y furent réduits en cendres. Cet autodafé de livres  se répéta dans 20 autres villes du pays

  L ’ Etat islamique et les livres …

Courant janvier 2003, des combattants de l’État islamique auraient pris possession de la Bibliothèque centrale de Mossoul en Irak, pour en brûler près de 2 000 livres jugés impies. 

La culture a encore une fois fait les frais de l’intolérance et du fanatisme des intégristes de l’État islamique à Mossoul, le deuxième ville d’Irak. Courant janvier, des militants de l’organisation terroriste auraient pris possession de la Bibliothèque centrale de la ville, l’une des plus riches du pays, pour en brûler quelque 2 000 livres  selon l’Associated Press . Science, philosophie, médecine, cartes, journaux, livres pour enfants, poésie… Les jihadistes n’ont épargné aucun domaine.

Des documents datant de l’Empire ottoman réduits en cendres

“Ces livres promeuvent l’infidélité et appellent à la désobéissance à Allah. Ils doivent donc brûler” , aurait déclaré l’un d’entre eux à la foule selon un témoin parlant sous réserve d’anonymat. Une collection de journaux irakiens datant du début du XXe siècle, des cartes et des livres datant de l’Empire ottoman auraient notamment péri dans les flammes. Les fanatiques ne se sont pas arrêtés là : quelques jours plus tard selon l’Associated Press, ils ont fait irruption dans la bibliothèque de l’Université de Mossoul et se sont saisis de centaines d’ouvrages, qu’ils ont brûlé devant les étudiants.

D’après un professeur d’histoire de l’Université de Mossoul qui a également souhaité rester anonyme par peur des représailles, les jihadistes ont saccagé de nombreuses bibliothèques ces derniers temps : les archives de la bibliothèque sunnite, la bibliothèque – vieille de 265 ans – de l’Église latine, le monastère des pères dominicains et la bibliothèque du Musée de Mossoul – contenant des documents datant de 5 000 ans avant J.-C. – auraient été attaqués.

Désormais, là où règne l’État islamique, le fait de cacher un livre jugé impie est passible d’une condamnation à mort. Selon le législateur Hakim al-Zamili, l’État islamique  “considère la culture et la science comme ses pires ennemis” .

Autodafés en tous genres… (Il en manque beaucoup…)

  • 240 av J.-C : l’empereur chinois Tsin Che Hoang fait détruire tous les livres de sciences et d’histoire.
  • 48 av J.-C : premier incendie de la bibliothèque d’alexandrie par Jules Cesar.
  • 54 ap J.-C : Saint Paul fait un autodafé à Ephèse de tous les livres qui traite de “choses curieuses”.
  • 3ème siecle: les empereurs chrétiens d’occident , en gigantesques autodafés, brulent et détruisent les merveilles du monde antique, dont le temple de Diane à Ephèse, et les archives “païennes”.
  • 490: deuxième incendie de la bibliothèque d’alexandrie par les chrétiens.
  • 7ème siècle: des moines irlandais font bruler10 000 manuscrits runiques en écorces de bouleau contenant les traditions et les annales de la civilisation celtique.
  • 641: troisième incendie de la bibliothèque d’alexandrie par ordre du calife Omar
  • 789: Charlemagne , reprenant les décrets des conciles d’Arles, de Tour, de Nantes et de Tolède, interdit le cultes des arbres, des pierres, des fontaines et prescrit la destruction de tout objet ou document se rapportant au rite païen.
  • 1221: Gengis Khan brûle les livres de l’antique Djouloul, la Thèbes de l’orient.
  • 13 ème siècle: les catholiques détruisent les livres cathares.
  • 14 ème et 15 ème siècle: l’Inquisition brûle les livres hérétiques
  • 16ème siècle: les conquistadors chrétiens et l’évêque Diego de Landa détruisent la quasi-totalité des livres sacrés méxicains. Les livres de Garcilaso de La Vega sont Brûlés par l’inquisition.
  • 1566: Le vice roi du Pérou, francisco Toledo, détruit un stock immense d’étoffes incas et de tablettes peintes où figurés l’hisoire ancienne de l’amerique.
  • 18ème siécle: le pére Sicard dans le port d’Ouardan en Egypte fait brûler ” un colombier de papyrus à caractères magiques”.
  • 1709: L’Inquisition brûle les documents scientifiques de Gusmâo à Lisbonne…
  Texte 3 : Montesquieu, Les Lettres persanes , Lett re 12


MONTESQUIEU

Philosophe français (1689-1755), conseiller au parlement de Bordeaux. Son oeuvre est variée. On retiendra    De l’Esprit des Lois , ouvrage politique mais aussi  Les Lettres persanes , roman épistolaire qui regarde la société française sous l’œil naif et satirique de deux persans.  Homme des Lumières qui en incarne l’esprit, il se passionne pour les sciences, la politique et la philosophie.  

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Les Lettres persanes

Publiées anonymement à Amsterdam en 1721 , Les Lettres persanes suivent une double mode : celle de l’Orient et celle du roman par lettres (Epistolaire).

Les Lettres permettent une réflexion philosophique sur la relativité des coutumes et la recherche d’un ordre universel bâti sur la raison.

Deux Persans, Usbek et Rica , entreprennent un long voyage entre 1712 et 1720 , qui les conduit d’Ispahan (Perse) à Paris. Ils écrivent à ceux restés en Perse et reçoivent eux-mêmes des lettres. Ainsi la forme épistolaire par l’échange des lettres multiplie les points de vue, relativise les jugements émis par les personnages ET permet à Montesquieu (1689-1755) d’unir la fiction romanesque et la satire des mœurs et des institutions de son temps . . On a souvent au XVIII°, ce regard naïf d’un étranger (cf.Candide)

Le “regard persan” favorise ainsi l’ironie à l’égard de coutumes décrites d’un autre point de vue , le vocabulaire persan appliqué à des valeurs occidentales ridiculise leur ethnocentrisme. A la surprise manifestée par les Persans répond d’ailleurs un autre étonnement : celui des Parisiens, condensé par la formule célèbre de la lettre XXX « Comment peut-on être Persan ? »

Avant d’arriver à Paris, alors qu’ils se trouvent encore à Erzurum dans l’empire ottoman, nos deux Persans sont informés par l’intermédiaire de Mirza d’un débat qui partage la cour d’Ispahan en Perse.

Il s’agit de savoir quelle est la condition principale du bonheur dans une société : est-ce la satisfaction des besoins ou la pratique de la vertu qui peut garantir l’harmonie et le bonheur collectifs ? Dans les lettres XI et XII, Usbek répond à cette question, non par une démonstration abstraite, mais à travers un apologue qui veut à la fois « persuader » et « toucher » son lecteur : le mythe des troglodytes. La lettre XI raconte comment les Troglodytes menant une vie égoïste, seulement soucieux de leurs intérêts particuliers, conduisent leur société à la guerre et à la ruine. Dans la lettre XII, dont notre texte présente les premiers paragraphes, Usbek montre comment quelques Troglodytes qui ont survécu à la catastrophe reconstruisent une nouvelle société garantissant le bonheur de tous et de chacun.

Usbek au même, à Ispahan

Tu as vu, mon cher Mirza, comment les Troglodytes périrent par leur méchanceté même, et furent les victimes de leurs propres injustices. De tant de familles, il n’en resta que deux qui échappèrent aux malheurs de la Nation. Il y avait dans ce pays deux hommes bien singuliers : ils avaient de l’humanité ; ils connaissaient la justice ; ils aimaient la vertu. Autant liés par la droiture de leur cœur que par la corruption de celui des autres, ils voyaient la désolation générale, et ne la ressentaient que par la pitié : c’était le motif d’une union nouvelle. Ils travaillaient avec une sollicitude commune pour l’intérêt commun ; ils n’avaient de différends que ceux qu’une douce et tendre amitié faisait naître ; et, dans l’endroit du pays le plus écarté, séparés de leurs compatriotes indignes de leur présence, ils menaient une vie heureuse et tranquille. La terre semblait produire d’elle-même, cultivée par ces vertueuses mains. Ils aimaient leurs femmes, et ils en étaient tendrement chéris. Toute leur attention était d’élever leurs enfants à la vertu. Ils leur représentaient sans cesse les malheurs de leurs compatriotes et leur mettaient devant les yeux cet exemple si triste ; ils leur faisaient surtout sentir que l’intérêt des particuliers se trouve toujours dans l’intérêt commun ; que vouloir s’en séparer, c’est vouloir se perdre ; que la vertu n’est point une chose qui doive nous coûter ; qu’il ne faut point la regarder comme un exercice pénible ; et que la justice pour autrui est une charité pour nous. Ils eurent bientôt la consolation des pères vertueux, qui est d’avoir des enfants qui leur ressemblent. Le jeune peuple qui s’éleva sous leurs yeux s’accrut par d’heureux mariages : le nombre augmenta, l’union fut toujours la même ; et la vertu, bien loin de s’affaiblir dans la multitude, fut fortifiée, au contraire, par un plus grand nombre d’exemples. Qui pourrait représenter ici le bonheur de ces Troglodytes ? Un peuple si juste devait être chéri des dieux. Dès qu’il ouvrit les yeux pour les connaître, il apprit à les craindre, et la religion vint adoucir dans les mœurs ce que la nature y avait laissé de trop rude. Ils instituèrent des fêtes en l’honneur des dieux : les jeunes filles ornées de fleurs, et les jeunes garçons les célébraient par leurs danses et par les accords d’une musique champêtre. On faisait ensuite des festins où la joie ne régnait pas moins que la frugalité. C’était dans ces assemblées que parlait la nature naïve ; c’est là qu’on apprenait à donner le cœur et à le recevoir ; c’est là que la pudeur virginale faisait en rougissant un aveu surpris, mais bientôt confirmé par le consentement des pères ; et c’est là que les tendres mères se plaisaient à prévoir de loin une union douce et fidèle. On allait au temple pour demander les faveurs des dieux ; ce n’était pas les richesses et une onéreuse abondance : de pareils souhaits étaient indignes des heureux Troglodytes; ils ne savaient les désirer que pour leurs compatriotes. Ils n’étaient au pied des autels que pour demander la santé de leurs pères, l’union de leurs frères, la tendresse de leurs femmes, l’amour et l’obéissance de leurs enfants. Les filles y venaient apporter le tendre sacrifice de leur cœur, et ne leur demandaient d’autre grâce que celle de pouvoir rendre un Troglodyte heureux. Le soir, lorsque les troupeaux quittaient les prairies, et que les bœufs fatigués avaient ramené la charrue, ils s’assemblaient, et, dans un repas frugal, ils chantaient les injustices des premiers Troglodytes et leurs malheurs, la vertu renaissante avec un nouveau peuple, et sa félicité. Ils célébraient les grandeurs des dieux, leurs faveurs toujours présentes aux hommes qui les implorent, et leur colère inévitable à ceux qui ne les craignent pas ; ils décrivaient ensuite les délices de la vie champêtre et le bonheur d’une condition toujours parée de l’innocence. Bientôt ils s’abandonnaient à un sommeil que les soins et les chagrins n’interrompaient jamais. La nature ne fournissait pas moins à leurs désirs qu’à leurs besoins. Dans ce pays heureux, la cupidité était étrangère : ils se faisaient des présents où celui qui donnait croyait toujours avoir l’avantage. Le peuple troglodyte se regardait comme une seule famille ; les troupeaux étaient presque toujours confondus ; la seule peine qu’on s’épargnait ordinairement, c’était de les partager. D’Erzeron, le 6 de la lune de Gemmadi 2 1711
Texte 4 : Victor Hugo, Paris-guide de l’exposition universelle de 1869, Paris, 1867 – Chapitre I “L’Avenir”.

Victor Hugo (1802-1885)

L’un des plus grands écrivains français : romancier, poète, dramaturge…. Chef de file du Romantisme, homme politique et artiste engagé qui a connu l’exil. Il est l’auteur des Misérables, de Notre-Dame de Paris, du recueil des Contemplations, De pièces comme Hernani ou Ruy Blas…

sujet de dissertation utopie

En 1866, on sollicita Victor Hugo pour écrire une introduction à  Paris guide  (un ouvrage destiné aux visiteurs de l’Exposition universelle de 1867), il rédigea un long texte qui tient à la fois de la lettre d’amour à une Capitale mythifiée et de la profession de foi utopique.

En exil à Guernesey, l’auteur n’a pas vu Paris depuis seize ans.

Ce texte s’impose surtout comme un manifeste de la pensée politique hugolienne. C’est un hymne à la paix, à la fraternité, à l’universalité des Lumières et au progrès technique. Si Hugo, d’ailleurs, décrit le Paris de son temps, c’est avant tout pour se projeter vers l’avenir, prophétiser. Et ce qu’il prédit s’oppose totalement à la vision sombre que développe Jules Verne dans son  Paris au XXe siècle  (écrit en 1863 mais refusé par son éditeur Hetzel), d’une ville dominée par la technologie, la finance, la surveillance constante des habitants.  Hugo rêve d’une paix universelle, d’une Europe unie, d’un monde ouvert à la libre circulation, libéré des superstitions et des fanatismes religieux, dont Paris serait le phare, irradiant ses valeurs d’une humanité réconciliée jusqu’aux confins de la terre, à l’image, dans le passé, d’Athènes et de Jérusalem.  

Au vingtième siècle, il y aura une nation extraordinaire. Cette nation sera grande, ce qui ne l’empêchera pas d’être libre. Elle sera illustre, riche, pensante, pacifique, cordiale au reste de l’humanité. Elle aura la gravité douce d’une aînée. (…) Elle considérera le gaspillage du sang humain comme inutile. (…) Aucune exploitation, ni des petits par les gros, ni des gros par les petits ; et partout la dignité de l’utilité de chacun sentie par tous ; l’idée de domesticité purgée de l’idée de servitude ; l’égalité sortant toute construite de l’instruction gratuite et obligatoire ; l’égout remplacé par le drainage ; le châtiment remplacé par l’enseignement ; la prison transfigurée en école ; l’ignorance, qui est la suprême indigence, abolie ; l’homme qui ne sait pas lire aussi rare que l’aveugle-né (…). La circulation décuplée ayant pour résultat la production et la consommation centuplées ; la multiplication de pains, de miracle, devenue réalité ; les cours d’eau endigués, ce qui empêchera les inondations, et empoissonnés, ce qui produira la vie à bas prix ; l’industrie engendrant l’industrie, les bras appelant les bras, l’oeuvre faite se ramifiant en innombrables oeuvres à faire, un perpétuel recommencement sorti d’un perpétuel achèvement, et, en tout lieu, à toute heure, sous la hache féconde du progrès, l’admirable renaissance des têtes de l’hydre sainte du travail. Pour guerre l’émulation. L’émeute des intelligences vers l’aurore. L’impatience du bien gourmandant les lenteurs et les timidités. Toute autre colère disparue. Un peuple fouillant les flancs de la nuit et opérant, au profit du genre humain, une immense extraction de clarté. Voilà quelle sera cette nation. Cette nation aura pour capitale Paris, et ne s’appellera point la France ; elle s’appellera l’Europe. Elle s’appellera l’Europe au vingtième siècle, et, aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s’appellera l’Humanité. Victor Hugo, Introduction au Paris-guide de l’Exposition universelle de 1867 , Librairie internationale, ch I, “L’Avenir”.
  Travail d’écriture (Invention)

Sujet d’invention :

Dans une lettre ouverte (argumentation directe) d’une quarantaine de lignes au minimum, répondre à Hugo et lui rapporter en quoi le siècle et demi écoulé n’a pas toujours ressemblé à ce qu’il espérait…

Contrat d’écriture

  • Respecter les caractéristiques du genre de la lettre (prise en compte du destinataire)
  • Rappeler d’abord deux ou trois grandes idées de V. Hugo puis donner des exemples précis pour décrire les événements qui sont venus contredire ce qu’il avait imaginé ; 

  • Employer un langage soutenu puisque l’on s’adresse à l’un des plus grands écrivains français ! 

  Texte 5 :  Philippe Roth, Le Complot contre l’Amérique , 2004

Philippe Roth , 1933 -2018 est l’un des plus grands écrivains américains.   

Petit-fils d’immigrés juifs,   arrivés aux États-Unis au tournant du XXe siècle, il grandit dans le quartier de la petite classe moyenne juive de Newark. Après des études à l’université, il y enseigne les lettres, puis la composition à l’université de l’Iowa jusqu’au début des années 1960. Il reprendra ses activités d’enseignant de manière intermittente jusqu’en 1992. Il a publié 26 romans. En 1970 il obtient une célébrité phénoménale et crée le scandale avec “Portnoy et son complexe” (Portnoy’s Complaint, 1969), longue confession de son héros, aux prises avec sa judéité et ses pulsions sexuelles. Le personnage réapparaît dans nombre de ses œuvres.   Dans sa trilogie américaine: “Pastorale américaine” (American Pastoral, 1997), “J’ai épousé un communiste” (I Married a Communist, 1998) et “La Tache” (The Human Stain, 2000), il opère une démythification de l’American dream, et fustige le politiquement correct ambiant.

En 2004, Le Complot contre l’Amérique, puis”Le Rabaissement” (The Humbling, 2009) est porté sur grand écran en 2014 par Barry Levinson En octobre 2012, il annonce, lors d’un entretien qu’il arrête l’écriture et que “Némésis” (2010) restera son dernier roman.

« Il faut passer par la stupidité pour ne pas être un con »

sujet de dissertation utopie

  HISTOIRE DES ARTS

de David Alapont et Luis Briceno (2009)

Par Marie-Pierre Lafargue, intervenante cinéma en milieu scolaire

Dans un univers totalitaire déshumanisé où les relations sont dominées par les nouvelles technologies, Oscar est l’un des rouages dociles d’un monde technologique sans heurt ni affect. Quand son collègue et ami Martin lui confie la garde d’un mystérieux objet venu du passé, la vie d’Oscar bascule, entraînant la violence et le chaos. C’est une lampe torche qui, en effaçant la couche de matière qui recouvre et uniformise les hommes et le décor, en révèle les aspérités, les couleurs, les cicatrices du temps. Le récit, nerveux et épuré, est celui d’une prise de conscience.

Fard est un film d’animation sorti au cinéma dans le programme de courts métrages Logorama and co (2011) condensant la plupart des motifs et thèmes d’une dystopie classique.

Il a reçu le prix du Meilleur Film d’Animation francophone SACD 2010.   

Fard est directement inspiré du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1932) et de 1984 de George Orwell (1948).

Séquence 1  : dans un plan en caméra à l’épaule, un homme se déplace dans un décor futuriste où les personnages semblent tous semblables.

Séquence 2  : l ’homme entre dans son bureau en open space. Au fond, un visage féminin parle aux employés sur un écran géant. L’homme allume son ordinateur, où apparaît le message de Martin (qui l’appelle Oscar), qui lui demande de prendre un paquet pour lui. Oscar ouvre le tiroir du bureau et découvre le paquet. Un homme passe derrière Oscar et le félicite pour son travail. La voix de l’écran souhaite une bonne journée aux employés.

Séquence 3  : Oscar entre dans un ascenseur et échange quelques mots avec une femme, Lisa, avant de lui prendre discrètement la main.

Séquence 4  : Oscar sort de l’ascenseur et entre chez lui avec le paquet. Il écoute ses messages. Martin, l’air effrayé, lui dit de cacher le paquet. Oscar ouvre le paquet et en sort une lampe de poche, l’air éberlué. Alors que tout le film est en animation, la lampe est en images réelles. Dans un plan en caméra subjective, Oscar inspecte la lampe et l’allume face à lui par inadvertance. Il jette la lampe en se tenant le visage. En contrechamp, la lampe éclaire le mur et en révèle un aspect totalement différent. Oscar se regarde dans le miroir et nous découvrons avec lui qu’une partie de son visage a changé et apparaît en images réelles. On frappe à la porte. Oscar s’empare de la lampe et se cache. 

Des hommes en noir entrent dans la pièce et découvrent la partie éclairée du mur, pendant qu’Oscar s’enfuit.

Séquence 5   : les hommes en noir partent à sa poursuite dans les escaliers. Oscar va se réfugier chez son amie. Lisa hurle en voyant le visage d’Oscar. Oscar la gifle avant de lui montrer le pouvoir de la lampe. Lisa tente de fuir mais Oscar la retient puis la fait tomber par terre, inconsciente. Il découvre son propre sang puis fait apparaître le visage réel de Lisa à la lumière de la lampe.

Séquence 6  : Martin est kidnappé par Oscar qui l’emmène dans un coin reculé et l’éclaire avec la lampe. Le haut du visage de Martin apparaît en images réelles. Oscar assomme Martin.

Séquence 7  : Martin, toujours inconscient, et Oscar, sont dans les égouts. Martin se réveille et les deux hommes se battent pour la lampe. Oscar tombe dans une cascade, inconscient. Il est ramassé par des hommes en noir.

Séquence 8  : Oscar est sur une table d’opération. Une machine recouvre les traces d’images réelles.

Séquence 9  : Oscar est à son bureau, tout est revenu à la “normale”. Il ouvre le tiroir du bureau et le découvre vide. Martin vient s’asseoir à côté de lui. Un homme le félicite pour son travail. La voix de l’écran souhaite une bonne journée aux employés.

Dossier rédigé par Cécile Giraud-Babouche, 2011

  Révélation

La lampe torche donne un nouvel éclairage au monde. Cet objet du passé fonctionne comme un témoin qui réintroduit l’humanité dans l’univers sans vie d’Oscar . Braquée contre le monde, la lampe efface la surface illusoire et ravive les couleurs et les matières. L’image en prise de vue réelle apparaît sous le dessin : Oscar découvre le bois d’une commode mais aussi sa propre chair palpitante et le véritable visage de Lisa, comme lui soumise au temps et donc vouée au vieillissement. Véritable métaphore de l’appareil cinématographique, la lampe torche , garante de la connaissance, relance le processus temporel et mémoriel et vient questionner les origines.

Dans Fard , cette prise de conscience se fait dans la douleur : sidéré par la vérité, Oscar passe par toute une gamme de sentiments extrêmes qui déforment sa figure jusqu’à la laideur. Lisa déchire la peau de son visage et le sang afflue. La vie qui macule alors ses doigts le plonge dans la stupéfaction tandis que s’em-balle le timbre jusque-là régulier et assourdi de sa voix. Mêlés aux cris de terreur de Lisa, ses grognements et onomatopées com- posent un concert chaotique, repris et amplifié lors de la lutte à mort contre Martin dans les égouts.

Le réel monte à l’assaut de l’illusion. Les croyances d’Oscar dans le travail, la technologie et le confort se fissurent et s’effondrent et son refus de remettre en question ce en quoi il croit – « ce qu’on ne voit pas n’existe pas » – le mènent à la mort.

Le film se conclut sur l’idéal totalitaire – c’est la voix robotisée qui a le dernier mot – et pose la question du libre arbitre et de l’asservissement volontaire.

Ce final sombre ouvre un immense champ de réflexions : que devient un homme quand on le prive de mémoire ? Jusqu’à quel point l’identité résiste-t-elle à l’uniformité ? Le confort et l’immortalité promis par la révolution technologique prévalent-ils sur la vérité de la condition humaine, par définition imparfaite et condamnée à la finitude ?

Les auteurs

   Luis Briceno est producteur et réalisateur. 

Il réalise ses propres films essentiellement en animation, en utilisant différentes techniques : dessin, papier découpé, animation d’objets, mélange d’images réelles et d’animation. Après Fard , il a réalisé Adieu Général en 2009 avec un téléphone portable, un film autobiographique où il raconte son enfance au Chili, pour lequel il a choisi la technique du papier découpé et du collage. Le film se rapproche du documentaire animé 

David Alapont a réalisé deux courts métrages d’animation dont Fard , qui est le plus récent.

Il a suivi des études au sein de l’ENSAD (École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs), où il réalise son film de fin d’études, L’Aiguille , en 2002, en utilisant le fusain. Parallèlement à son activité de réalisateur, il est storyboarder et illustrateur.  

La rotoscopie

Fard  utilise la technique de la rotoscopie dont le principe est de tourner avec de vrais acteurs, puis de dessiner image par image par-dessus l’image réelle. Pour une explication en images, voir la vidéo ci-contre réalisée par Charlimars.

http://www.ciclic.fr/fard-technique

ANALYSE DE SEQUENCE

De 02 min 28 à 04 min 15 (treize plans, jusqu’à l’arrivée de la police).  Au cours de cette séquence, la vie d’Oscar bascule tout comme les certitudes du spectateur de  Fard   qui croyait être devant un film d’animation traditionnel.

http://www.ciclic.fr/fard-analyse-de-sequence

  • Par quel procédé cinématographique découvre-t-on l’espace ?
  • Comment peut-on interpréter le fait qu’Arthur torne le dos au répondeur et ne regarde pas l’hologramme de ceux qui lui ont envoyé un message ?
  • En quoi le 3° message modifie-t-il la sérénité apparente du personnage ?
  • Dans le plan suivant, plus large, qu’indique selon vous le léger oscillement de la caméra ?
  • Quand Oscar ouvre la boite, comment est intensifié la curiosité du spectateur ?
  • Qu’apporte l’apparition d’un objet en image réel dans le film d’animation ?

   (en lien avec Fard)-Voir sur le site philofrancais.fr

  • Metropolis de Fritz Lang (1927) et THX 1138 de George Lucas (1971) ont servi de matrice à l’univers totalitaire imaginé par D. Alapont et L. Briceno : pesanteur des décors de la cité futuriste et mondes souterrains dans lesquels les humains sont asservis pour Metropolis ; décor minimaliste et immaculé et voix hypnotique dans THX 1138 .

Film entier  

Total Recall de Paul Verhoeven (1990)
Blade Runner de Ridley Scott (1989)
  • Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol (1997) traite également de la question de l’humanité à préserver et mobilisent les mêmes motifs : réalité cachée, confusion des identités, corps problématiques, êtres sans émotion ni conscience.

Tous ces films , et des dizaines d’autres…partagent avec Fard le thème essentiel du contrôle des individus que ce soit par un Big Brother ou un invisible « comité », une critique de l’aveuglement technolo- gique et confondent quête identitaire et quête de la vérité dans un même mouvement salutaire.

Oeuvre cursive, La route , MacCarthy, 2009

Humanities Arts and Society

A project by UNESCO-MOST – C.I.P.S.H –   Mémoire de l’Avenir

sujet de dissertation utopie

Nous abordons dans cette proposition les notions d’anxiété et d’espoir par le biais d’une forme littéraire, artistique et philosophique majeure, l’utopie. Nous verrons comment, avec son contrepoint la dystopie, elles se sont imposées comme un outil essentiel à l’analyse et à la critique d’une époque en questionnant tout autant ses aspirations que ses aspects les plus anxiogènes. Ainsi littérature, cinéma et architecture ont fait appel au binôme utopie/dystopie pour formuler un questionnement productif sur notre société. Nous montrerons que le numérique, à travers la production de simulations, est devenu un territoire pertinent dans la poursuite de cette réflexion critique.

Histoire d’un couple antagoniste

À l’origine, l’utopie est une forme littéraire. Le néologisme, formé en 1516 par Thomas More pour son livre Utopia , définit une forme de société idéale « qui ne se trouve nulle part ». Inspiré par La république de Platon, le livre doit avant tout se comprendre comme une critique humaniste, une description en creux des injustices qui rongent les sociétés européennes du XVIe siècle, et plus particulièrement l’Angleterre. Dans la seconde édition, Thomas More ajoute au titre initial le terme homonyme en anglais « Eutopia », précisant l’idée d’un « lieu du bon ». Ce double sens révèle la nature de l’utopie : procédé davantage littéraire que politique, elle est une création imaginaire, un idéal qui ne saurait prendre place dans la société humaine. Paradoxalement, parce qu’elle prétend répondre par une forme sociale univoque à l’ensemble des aspirations et contradictions humaines, elle porte aussi les germes d’une pensée de nature idéologique.

La notion de dystopie, étymologiquement un « lieu négatif », apparaît plus tardivement au XIXe siècle, toujours en Angleterre. La dystopie est la réalisation de l’utopie au sein d’une société et devient le prétexte à l’observation du dysfonctionnement de cette utopie, sa mise à l’épreuve des faits. Elle en révèle les failles, les sous-entendus, les potentiels risques sociaux et politiques. Dans la littérature, elle prend le point de vue de l’individu, montrant l’absurdité du traitement auquel le soumet une utopie ayant évolué de réflexion philosophique à système hégémonique mis en application. Les exemples littéraires de dystopies abondent, et constituent pour certains des œuvres majeures susceptibles d’incarner leur époque : Le meilleur des mondes (Aldous Huxley, 1932), 1984 (Georges Orwell, 1948), La planète des singes (Pierre Boulle, 1963), La servante écarlate (Margaret Atwood, 1985), Soumission (Michel Houellebecq, 2015). Au final, cette forme littéraire dérivée s’avère plus prolifique et féconde que sa source l’utopie.

Dans les années 1960, la jeunesse et les milieux intellectuels sont animés par une telle soif de révolution et d’idéaux que toute forme de critique constructive est dévalorisée par l’étiquette « réactionnaire ». Ce que comprennent malgré tout certains intellectuels, comme Guy Debord en France ou Pierre Paolo Pasolini en Italie, est que cette révolution nouvelle, même si elle se situe dans la lignée de combats légitimes et progressistes, correspond aussi à l’émergence d’une société bourgeoise structurée par la consommation marchande doublée d’une forme nouvelle de société du spectacle. La liberté totale, absolue, fulgurante, mène-t-elle prosaïquement à une consommation addictive, au triomphe des marques internationales et aux gloires éphémères des réseaux sociaux ? L’utopie porte-t-elle tragiquement sa propre dystopie ? Il ne s’agit pas ici de remettre en question la liberté, acquis essentiel et universel, mais au contraire d’essayer de comprendre à quel moment une idéologie se substitue à un idéal, quel curseur marque le glissement entre une utopie légitime et sa réalisation désincarnée. La question est complexe, car la nature de l’idéologie est d’être diffuse pour les esprits qui la partagent, elle constitue une manière invisible d’interpréter le monde. Il est donc essentiel de construire des mécanismes susceptibles de la rendre visible, l’obligeant à dévoiler ses conséquences les plus cachées. Parfois accusée d’être réactionnaire, la dystopie constitue pourtant un outil pertinent pour décortiquer le sens profond d’une idéologie. Elle interroge le futur, révélateur davantage que programme politique, laissant l’individu éclairé libre de ses choix et de ses idéaux.

Le cinéma, média privilégié de la dystopie

Le XXe siècle voit la dystopie devenir une source d’inspiration pour les arts. Le film succède au roman du XIXe siècle comme forme classique de narration, il devient le témoin privilégié de son époque. D’abord tiré par l’adaptation d’œuvres littéraires, le cinématographe engendre de plus en plus de productions basées sur des scénarios originaux interrogeant des thèmes sociétaux de manière directe : la société de classes dans Metropolis (Fritz Lang, 1927), la boucle itérative du temps et l’éternel retour dans La jetée (Chris Marker, 1962), la déshumanisation de la société par le biais d’un super ordinateur dans Alphaville (Jean-Luc Godard, 1965), la société des immortels Éternels contre le peuple des Brutes dans Zardoz (John Boorman, 1974), l’administration tentaculaire et dysfonctionnelle de Brazil (Terry Gilliam, 1985), ou encore la dépendance collective à une forme addictive et organique du virtuel dans Existenz (David Cronenberg, 1999).

Dans ces œuvres est questionnée, au-delà du récit politique, philosophique et humaniste, l’importance des lieux servant de cadre aux dystopies. Comment incarner le lieu et la forme d’une utopie déréglée ? Doit-elle prendre place dans un espace purement imaginaire, ou est-il au contraire pertinent de l’inscrire dans des fragments sélectionnés de notre présent, pour mieux montrer sa proximité ? Certains réalisateurs choisissent de privilégier le travail en studio et les effets spéciaux, comme dans le Metropolis de Fritz Lang, dont la ville verticale étonne encore aujourd’hui par sa puissance d’évocation. D’autres réalisateurs s’emploient au contraire à tordre le cou au réel, à construire une utopie détournant des éléments architecturaux et urbains contemporains dans l’optique d’en extraire la potentialité futuriste. On citera ici plus particulièrement La jetée , Alphaville , le provocant Orange mécanique de Stanley Kubrick, ou plus près de nous la vision baroque du Brazil de Terry Gilliam. Avec cet usage du réel s’inscrit plus directement une critique de la modernité, de ses lieux déshumanisés et de ses modes d’habiter dans des fables anticipatives qui nous parlent très directement de notre présent.

sujet de dissertation utopie

Des outils critiques de la pensée urbaine

Les domaines de l’architecture et de l’urbanisme entretiennent depuis longtemps un lien étroit avec les notions d’utopie et de dystopie. À la Renaissance, parallèlement à l’idéal universaliste et humaniste d’un monde meilleur, se construit l’idée d’une Cité idéale susceptible de l’incarner. Elle vise à installer physiquement l’utopie au sein d’une organisation spatiale et sociale et reprend le modèle dominant en Italie à cette période, la cité état. Pendant plusieurs siècles, le thème sera décliné en fonction des aspirations de l’époque, depuis le Familistère de Jean-Baptiste André Godin jusqu’aux architectures prérévolutionnaires d’Étienne-Louis Boullée et de Claude Nicolas Ledoux.

Au XIXe siècle, le modèle des cités jardins propose une utopie hygiéniste associée au lieu de production, l’usine, afin de sortir les ouvriers des miasmes qui amoindrissent leur productivité et nuisent au bon développement du capitalisme. Cet aspect idéologique du bonheur imposé pour tous culminera au début du XXe siècle avec la ville idéale de Le Corbusier dont Le plan Voisin constitue un jalon essentiel. L’urbanisme tout autant que le bonheur y sont autoritaires, imposés à un individu incarné par une forme d’homme idéal, sportif et moderne. Mais ce plan d’aménagement ne précède que de quelques années l’expansion du fascisme dans toute l’Europe, avec lequel il entretient des liens idéologiques ambigus.

L’utopie architecturale reste encore vivace quelques années après la seconde guerre mondiale. Dans les années 60, les projets pop et avant-gardistes du collectif anglais Archigram et le mouvement des mégastructures forment une sorte de spectaculaire chant du cygne, mais l’époque soulève pourtant de plus en plus de questions critiques sur l’existence d’un modèle idéal : la société démocratique, qui s’est construite dans un contexte social et historique complexe, reflet de la nature humaine, peut-elle se résoudre à un principe d’aménagement urbain de nature utopique, aussi brillant et esthétique soit-il ? Si les architectes, persuadés du pouvoir social de leurs constructions, sont devenus de formidables producteurs d’images au service d’une idéologie de l’habiter, il se forme néanmoins parmi eux des collectifs développant une réflexion plus critique sur la pertinence d’une modernité à tout prix. À ce titre, la naissance de l’Architecture radicale, qui privilégie la dystopie à l’utopie pour explorer les questions sociales et esthétiques propres à l’habitat, marque un tournant de la pensée urbaine.

Projet précurseur du genre, « No stop City » (Archizoom Associati, 1969) est une dystopie imaginée par l’architecte et designer Andrea Branzi. Cette ville sans fin organise « l’idée de la disparition de l’architecture à l’intérieur de la métropole ». Concrètement, la ville, devenue territoire infini, se développe selon une conception proche du supermarché ou du parking. L’architecture souterraine, réduite au rôle de simple trame, propose des espaces neutres, climatisés et isolés de l’extérieur, dans lesquels l’individu organise son habitat comme un nomade au sein de la société de consommation. Andrea Branzi revendique la dimension provocatrice et critique de sa dystopie « Aux utopies qualitatives, nous répondons par la seule utopie possible : celle de la Quantité ». Dans une époque où se développent les discours sur les bienfaits de la consommation, il nous oblige à une distanciation critique, nous fascinant par un discours dont nous comprenons en même temps les conséquences les plus négatives.

Développant encore cette dimension critique, le projet « Exodus » (Rem Koolhaas, Marion Elia et Zoé Zenghelis, 1972) se présente comme une fiction, une sorte de fable composée de 18 images accompagnées d’un texte. Au cœur de Londres, une bande urbaine monumentale abrite un peuple de réfugiés venus se livrer totalement au règne d’une architecture dominatrice. Inspirée par la situation propre au Berlin des années 70 et à son mur, elle décrit un monde divisé en deux, ou les habitants du mauvais côté s’emploient désespérément à venir habiter le bon. S’ils y parviennent, ils se livrent alors à une série d’expériences au sein de séquences architecturales extrêmes. Comme avec Andrea Branzi, le ton joue d’un second degré ironique inhabituel chez des concepteurs plutôt habitués à valoriser les bienfaits inhérents de leurs propositions urbaines.

L’architecture radicale, par sa puissance d’évocation, constitue aujourd’hui une référence dont l’influence intellectuelle dépasse le cadre de l’aménagement urbain. Il s’agit d’une réflexion globale et profonde sur le modèle de société que nous souhaitons mettre en œuvre. Les protagonistes de ce mouvement ont d’ailleurs emprunté par la suite des chemins divergents. Tandis que certains italiens emprunt d’histoire marquèrent leur production d’un retour à une ville classique, le Hollandais Rem Koolhaas développera au contraire une architecture inscrite au sein du chaos urbain des grandes mégalopoles.

sujet de dissertation utopie

La simulation numérique, moyen d’exploration des possibles

Un domaine de création contemporain, le numérique, est sans doute le plus à même de prolonger le dialogue entre utopie et dystopie. Sous-tendu par une programmation qui en modifie le mode d’expression, le numérique se caractérise par le basculement de la représentation traditionnelle, qu’elle soit picturale ou photographique, vers une forme de représentation temps réel, la simulation. L’image perd en vérité ce qu’elle gagne en interactivité, elle cesse d’être une représentation du réel pour devenir la forme d’exploration ludique ou scientifique d’un modèle numérique.

L’utopie a ainsi alimenté le secteur du jeu vidéo depuis sa création. Publié en 1981 par Mattel, Utopia se présente comme l’ancêtre de tous les jeux de simulation qui lui succèderont. Deux joueurs en compétition y développent chacun leur île, accroissant la population, développant son urbanisme. Si le graphisme reste encore simplifié, le jeu utilise déjà une forme sommaire d’intelligence artificielle. Par la suite, de nombreux jeux s’inspireront de ce concept de développement, selon des règles scénaristiques mettant en œuvre un ensemble de variables et de fonctions mathématiques pour définir ce que serait une société idéale, comme dans le célèbre Civilization (1991), un jeu construisant son récit depuis l’âge de pierre jusqu’à la conquête spatiale. Dans le sous-genre spécifique du God game , Black and White de Peter Molyneux (2001) propose au joueur de s’incarner en un dieu surpuissant, capable d’offrir bonheur et prospérité à ses sujets ou au contraire de détruire arbitrairement leurs réalisations. Dans ce registre vidéoludique, la forme dystopique est trop souvent réservée à des jeux d’action à la première personne. Elle sert de cadre apocalyptique à des missions individuelles basées sur la violence, ce qui en restreint la portée philosophique ou humaniste. Des œuvres comme Half-life 2 (2004) offrent d’éliminer un grand nombre d’ennemis en parcourant différents niveaux, le contexte sociétal étant relégué à une toile de fond décorative. Si le joueur est soumis à une oppression politique ou sociale, ce n’est qu’un prétexte pour exalter son individualisme et justifier son droit à éliminer et détruire ce qui fait obstacle à une vision manichéenne du bien.

Malgré les limites posées par le jeu vidéo comme support d’expression de la dystopie, se ressent pourtant la puissance d’évocation et la richesse des possibilités offertes par ce média. Comment une simulation numérique scénarisée peut-elle devenir le cadre d’une réflexion pertinente sur nos idéaux sociétaux et leurs conséquences ? Si l’on ouvre notre réflexion à de plus larges domaines, il apparaît évident que la simulation est devenue un outil privilégié de la recherche scientifique. La création de modèles numériques permet de déplacer le champ de l’expérimentation depuis des expériences physiques vers des simulations virtuelles. Grâce à l’emploi des mégadonnées, on a ainsi fait basculer dans le domaine de la simulation la météorologie, les réactions nucléaires, la conception aérodynamique, les tests financiers ou encore la résistance structurelle des ouvrages d’arts. Aujourd’hui, l’informatique quantique simule même le comportement des particules élémentaires dans le cadre de réactions chimiques, permettant de relier le comportement de la matière entre des disciplines scientifiques autrefois dotées de théories distinctes.

Il ne serait cependant pas raisonnable de reprendre l’ensemble des paramètres caractérisant une dystopie comme autant de variables ajustables dans le cadre d’une simulation. Les domaines abordés sont trop vastes pour que le projet s’avère réaliste : économie, architecture, urbanisme, écologie, sociologie, technologie. Pour chacun d’entre eux, le champ des possibles est immense, tandis que les simulations numériques actuelles se concentrent au contraire sur la résolution de problèmes précis nécessitant une forte quantité de calculs. Ce qui nous est en revanche accessible est la possibilité de faire interagir le public avec des données structurantes sélectionnées au préalable, d’établir une forme de scénario narratif en laissant la possibilité au visiteur de le pousser vers ses extrémités, de manière à rendre visible ce qui dans l’esprit reste de l’ordre des idéaux mais ne s’est pas matérialisé sous une forme concrète. Il s’agit non seulement de donner à voir, mais surtout de donner à réfléchir.

Thématiques pour une dystopie contemporaine

Notre proposition consiste à élaborer une simulation sociale et environnementale mettant en œuvre les points structurants des idéologies émergentes. Il s’agit donc en premier lieu de les identifier. Si notre époque tend particulièrement à masquer la dimension tragique de l’existence, elle est pourtant le théâtre de nombreuses catastrophes : l’Holocène, le réchauffement climatique et ses conséquences environnementales, les migrations humaines qui en résultent, la montée des populismes forment autant de drames qui obscurcissent notre capacité à nous projeter dans l’avenir et semblent converger vers une rupture civilisationnelle. Mais l’esprit humain a besoin d’espoir, une société ne se construit pas sans valeurs ni idéaux. Aujourd’hui, l’écologie, l’agriculture biologique, la bio-inspiration, le développement durable, la décroissance et le localisme sont autant de sujets capables de cristalliser ces idéaux.

Une dystopie ne pourrait néanmoins se contenter d’enfoncer des portes ouvertes, sous peine de voir sa portée critique amoindrie. Sa nature est prospective, elle ne cherche ni à inquiéter ni à rassurer. Examinons pour finir quelques marqueurs sociétaux contemporains susceptibles d’être conjugués au sein d’une fiction dystopique.

Cosmogonie scientifique

Là où la religion se caractérise par une attitude dogmatique et une absence de perspective d’évolution de ce dogme, la science procède au contraire par l’établissement de théories susceptibles d’être renversées par d’autres théories plus pertinentes, le seul juge restant l’expérience répétée et validée par des pairs. Depuis le début du XXe siècle, et l’avènement de la théorie de la relativité, la science atteint un niveau métaphysique la positionnant aussi comme un questionnement sur notre univers. La physique quantique, lorsqu’elle nous extrait d’un monde newtonien purement déterministe ne laissant aucune place à l’action d’un dieu, ramène avec un hasard authentique et irréductible un ensemble de questions sur la nature même du réel. Dès lors, de nombreux éléments semblent converger vers l’éclosion d’une nouvelle cosmogonie s’appuyant sur les hypothèses scientifiques issues de notre connaissance nouvelle des lois de l’univers : formes du temps et de l’espace, nature du big bang et existence d’univers parallèles à l’échelle macroscopique, mais aussi structures neuronales, composants d’un cerveau considéré comme la structure la plus complexe de l’univers connu, décodage et interprétation du génome des êtres vivants à l’échelle microscopique ou encore théorie de l’évolution à l’échelle humaine. Une telle recherche spirituelle, par nature évolutive, peut-elle échapper à la tentation sectaire des pseudosciences, comme le montre un mysticisme quantique basé sur des interprétations spéculatives et erronées de la théorie scientifique ?

Transhumanisme

La capacité à contrôler les naissances, héritière de l’eugénisme, et le désir de modifier le vivant ont déjà été abordés dans de nombreuses fictions dystopiques. Notre époque y ajoute, avec le transhumanisme, une confusion sur la nature même du vivant. L’idée d’une « singularité », un point temporel à partir duquel une intelligence artificielle supplantera les capacités humaines, que l’on annonce très proche, et l’espoir de transférer complètement un humain dans le réseau informatique mondial pour le rendre éternel et omniscient forment deux marqueurs dont nous ne savons pas distinctement s’ils constituent un futur possible ou le fruit d’une idéologie malsaine et déréglée. Si l’homme augmenté est une hypothèse prenant corps avec chaque progrès de la science, la nature même de notre conscience ne saurait se résumer à un simple cerveau convertible en données, celui-ci restant inextricablement imbriqué avec l’ensemble des terminaisons nerveuses et physiques de notre corps. L’objectif du transhumanisme, une forme de vie éternelle, ne ramène t-il pas aux mythologies les plus anciennes, comme celle incarnée par Icare, annonçant par son refus d’une nature humaine transitoire une chute inévitable ?

Dérivé de l’ontologie, l’animalisme élargit sa dimension morale au-delà de l’humanisme à l’ensemble du règne animal. Une de ses composants les plus récents, l’anti-spécisme, refuse la catégorisation des espèces animales selon des critères arbitraires établis en fonction des intérêts propres au genre humain, attitude relevant selon elle d’un anthropocentrisme responsable de la destruction du vivant. L’Holocène en cours, c’est-à-dire la disparition rapide et inédite de la majorité des espèces répertoriées sous l’action de l’activité humaine, donne à cette philosophie une force s’exprimant à travers un militantisme radical déstabilisant de nombreux aspects traditionnels propres à notre société : alimentation, élevage, agriculture, rapport au monde sauvage, développement urbain. Est-il possible pour notre espèce de redéfinir sa nature profonde, au-delà de la simple nécessité écologique de mettre un terme à l’élevage industriel ? Est-il possible de construire une altérité avec des formes de conscience animales qui ne sont pas semblables à la nôtre ? Une telle utopie, sorte de jardin d’Éden retrouvé, chassera-t-elle à nouveau Adam et Ève du paradis ?

Bio-inspiration

Le génie humain est né d’une observation attentive du monde réel, que ce soit la nature ou les lois physiques sous-jacentes à son existence. Pourtant, les avancées technologiques, reposant sur une application abstraite de sciences comme la physique, la thermodynamique ou la chimie, ont délaissé les notions d’écosystème et d’interdépendance au profit d’une exploitation de ressources considérées comme illimitées. Ce début de XXIe siècle marque un retour brutal à la réalité dans lequel l’être humain comprend enfin la complexité et la fragilité de la planète qu’il habite. L’évolution des espèces végétales et animales et les solutions qu’elles ont déployé pour s’adapter à leur environnement nous offrent un modèle de développement harmonieux qui influence aujourd’hui l’architecture, le design et l’agriculture. La bio-inspiration rompt en apparence avec une modernité toute puissante, mais peut aussi devenir une simple esthétique justifiant la continuation d’une croissance industrielle destructrice. Sera-t-elle capable de modifier en profondeur la manière dont nous produisons et consommons, ou constitue-t-elle la dernière tentative que nous entreprenons pour masquer notre addiction à la consommation à outrance ?

sujet de dissertation utopie

Artiste et réalisateur multimédia. Diplomé de l’ENSAD Paris, réalisateur dans le domaine du motion design, il ouvre en parallèle sa pratique aux technologies numériques temps réel à travers la création de dispositifs muséographiques et artistiques. Il est co-fondateur de la société Active Creative Design.

sujet de dissertation utopie

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Faire de la publicité pour l'Utopie : l'affiche russe et soviétique du premier quart du XXe siècle

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Décentrer le regard : l'univers infini et l'utopie

Thèse - 9 pages - philosophie.

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Si la question de la légitimité de l'État, substrat de notre monde moderne, nourrit depuis ces quarante dernières années, de nombreux débats philosophiques, économiques et sociologiques, celle de sa conduite morale fait aujourd'hui, et à l'aune des récents évènements liant sphère...

Robert Nozick, "Anarchie, État et utopie" (1974)

Ce commentaire de texte complet et entièrement rédigé se demande notamment, dans quel type de système, un type d'organisation libertariste peut-il s'inscrire ? En nous penchant davantage sur les sections 1 à 3 du Chapitre 2 du Livre I qui portent sur la considération de l'État de nature. Nous...

En quoi l'utopie illustre-t-elle un projet souvent irréalisable ?

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Qu'est-ce qu'une utopie ?

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L'Economie sociale et solidaire : de l'utopie aux pratiques - Matthieu Hély et Pascale Moulévrier

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Les utopies sont-elles inutiles ?

Dissertation - 3 pages - philosophie.

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L'Utopie (Utopia) - Thomas More, 1516

Érasme est un ami de More. Ce dernier explique qu'il écrit L'Utopie pour faire diptyque avec l'Éloge de la folie. Cerner les spécificités de cet éloge original, écrit semble-t-il chez More lui-même, permet d'éclairer quelques-uns des enjeux de l'oeuvre de Thomas More. L'homme Érasme...

L'impact et le rôle de l'utopie dans les sociétés

Dissertation - 16 pages - sociologie & sciences sociales.

A quoi sert l'utopie ? Quelle est son rôle et son impact dans le fonctionnement des sociétés ? Est-elle positive ou dangereuse ? Si de prime abord il semble que l'utopie puisse conduire à tout et son contraire, en réalité, si elle peut amener à la ruine des sociétés, la...

L'utopie de Montesquieu et Voltaire : différences et ressemblances

Commentaire de texte - 15 pages - littérature.

Différences et ressemblances entre l'utopie de Montesquieu et celle de Voltaire dans Les Troglodytes et L'Eldorado. Héros utopiques, paysages utopiques, utopie au service de la philosophie.

More, "L'Utopie" , "Des arts et métiers" (Livre II)

Commentaire de texte - 3 pages - littérature.

Commentaire composé semi-rédigé de l'extrait Des arts et métiers tiré de "L'Utopie" de Thomas More.

La fonction principale de l'utopie : faire rêver ou faire réfléchir ?

Dissertation - 2 pages - philosophie.

Dissertation philosophique ayant pour sujet : "Quelle est, selon vous la fonction principale de l'utopie : faire rêver ou faire réfléchir ?". L'utopie fait partie du genre de l'apologue et est un récit qui présente un monde idéal. Cependant, elle a également une visée...

Le communisme rural des Khmers rouges, L'Utopie Meurtrière - Pin Yathai

Dissertation - 5 pages - histoire contemporaine : xixe, xxe et xxie.

Alors que la guerre du Vietnam fait rage, le pays voisin, le Cambodge, qui avait accédé à l'indépendance en 1954 suite aux accords de Genève, est de plus en plus lié à la guerre. Alors que le roi Sihanouk conduit une politique économique irrégulière, l'arrivée au pouvoir de Lon Nol en 1966 va...

Thomas More, "Utopie"

Dans ce passage, More par l'intermédiaire de son personnage, présente au lecteur sa vision de la cité idéale tant par sa situation que par sa conception (phrase introductive de l'axe 1) C'est tout d'abord dans un cadre idéal qu'est érigée la ville d'Amaurote. Comme toutes...

Quelle est, selon vous, la fonction principale de l'utopie: faire rêver ou faire réfléchir?

Dissertation - 5 pages - philosophie.

L'utopie est un terme créé au 16ème siècle par Thomas More, philosophe humaniste et homme politique anglais de la Renaissance. Du grec ou-topos : "lieu qui n'existe pas", et eu-topos, "lieu où tout est bien", l'utopie est un récit représentant un monde idéal, situé à...

La contre-utopie , ou « dystopie », au XXe siècle

Il est parallèle à celui de l'humanisme. Le XIXe siècle croit en l'avènement imminent d'une humanité enfin réalisée ; l'hégélianisme, le marxisme, le positivisme annoncent un homme pleinement épanoui pour bientôt. La Première Guerre mondiale apporte un démenti cruel à cet optimisme. L'idéal...

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Article : [39] - Utopie, dystopie, uchronie

jeudi 20 juin 2002

Par La rédaction de WebLettres , Par Véronique Herail

Il s’agissait de faire le point sur les œuvres que l’on peut choisir pour étudier l’utopie, la dystopie ou l’uchronie. DerniÚre modification le 21/04/2012 par Delphine Barbirati.

Pour un groupement de texte sur « Bonheur et Utopies »   ►  CAMPANELLA T., La cité du soleil .   ►  DIDEROT D., Le Neveu de Rameau . Un dialogue entre le philosophe et le neveu sur les rapports entre bonheur et vertu, pp.50-51 en livre de poche.   ►  GIDE A., Les Nourritures terrestres .   ►  GOURMONT R. de, « Le bonheur » (Mercure de France, 1907).   ►  JULIET C., L’Année de l’éveil . Un enseignant explique à un élÚve la réalité de la guerre. Puis il lui rapporte la réflexion d’un prisonnier de guerre : « Si on sait s’y prendre, on peut être heureux même en enfer. » p 115, éditions J’ai Lu.   ►  MERCIER S., L’An 2440 .   ►  NOTHOMB, Péplum .   ►  PEREC G., Penser, Classer De la difficulté qu’il y a à imaginer une Cité idéale.   ►  RABELAIS, MORE, VOLTAIRE (l’Eldorado et le poÚme « Le Mondain »), E. RENAN, Paul MORAND, New York et G. ORWELL, Animal’s Farm avec un discours du cochon Napoléon suivi d’un texte injonctif (les 7 Commandements de la ferme). De nombreuses lectures cursives sont possibles sur ce thÚme dont le Goncourt 2001 Rouge Brésil .

Essais et romans   ►  CIORAN E., Histoire et Utopie .   ►  GEORGES J., Voyage en Utopie .   ►  MOREAU P.F., Le Récit utopique : droit naturel et roman de l’Etat .   ►  MORROW J., Cité de vérité .   ►  SERVIER J., Histoire de l’Utopie .   ►  TROUSSON R., Voyages aux pays de nulle part .   ►  ZWEIG S., Erasme : grandeur et décadence d’une idée .

Liens pour étudier l’utopie   ►   L’exposition virtuelle de la BNF sur l’utopie   ►   Le site La Maison d’ailleurs   ►   La Clepsydre (Site actuellement en travaux).   ►  Un site sur la S.F. : NooSFÚre   ►   Icarus, l’encyclopédie de l’imaginaire   ►   Utopia, de l’Atlantide aux cités du futur   ►  Podcast d’émissions de France Culture   ►  Articles de la revue Bon à Tirer , écrits par Raymond Trousson  ; en particulier on pourra lire : Mourir en Utopie La cité, l’architecture et les arts en Utopie

Éléments de réflexion sur l’utopie   ►  Dans les utopies plus classiques (Campanella, More...) le dialogue met souvent en scÚne soit un voyageur qui revient d’une utopie et qui en décrit le fonctionnement social à son interlocuteur, soit un visiteur candide qui interroge un habitant de l’utopie ; le discours est dÚs lors plus épidictique et descriptif qu’argumentatif. Les enjeux argumentatifs sont donc plus intéressants lorsque les deux interlocuteurs défendent leur société et confrontent leurs visions du bonheur. Il est également possible de faire dialoguer dans cette perspective les auteurs à travers leurs textes : le texte « Le Mondain » de Voltaire s’inscrit ainsi comme la tirade trÚs rhétorique d’un dialogue en réponse aux passages arcadiens du Télémaque de Fénelon ou à la petite communauté du village de Clarens de La Nouvelle Héloïse de Rousseau : utopies optimistes, progressistes contre arcadies antiquisantes et régressistes. (Olivier H.)   ►  Appliquer une utopie littéraire ? Il faudrait être d’une naïveté sans pareil ou muni d’intentions franchement perverses pour vouloir mettre en application une utopie littéraire. On ne voit pas quel sens il pourrait y avoir à mettre en pratique « l’Eldorado » de Voltaire. Le partage des biens par l’ensemble de la communauté dont parler Thomas More a déjà montré ses limites. De même que dans « Eldorado », il semble qu’il ne peut y avoir Utopie que parce que le lieu est un lieu clos qui ne permet pas aux autres d’entrer... Il semble que l’invasion des autres dans Eldorado serait un échec total puisque l’absence d’institutions juridiques et carcérales permettrait toutes les dérives. On peut ajouter que le personnage n’en comprend pas d’ailleurs les rÚgles puisqu’il en détourne les principes et y applique ses valeurs (la façon dont il embrasse le roi, le fait qu’il s’en aille en emportant les pierres précieuses - intérêt matériel et spéculatif...) De même que dans L’île des Esclaves , les valets qui ont pour la premiÚre fois la parole, au lieu de s’en servir comme moyen d’accÚs au pouvoir politique et individuel, ne s’en servent que pour parodier les maîtres et encore dans une pâle et ridicule reproduction...   ►  Il me parait judicieux de tenir compte du fait que l’utopie n’est vraiment reconnue comme telle qu’à l’épreuve de la réalité, pour la plupart de ceux qu’on appelle à juste titre les rêveurs. Cela explique que des utopistes aient eu envie de se battre pour sauver leur idée, persuadés que seule la mauvaise foi de leurs contemporains s’oppose à la concrétisation de leur rêve. Il aurait fallu peut-être aussi le caractÚre nécessaire voire indispensable de l’utopie comme modÚle idéal. Ce sont ces pÃŽles d’idéalité qui maintiennent en chacun de nous la capacité à se dépasser, à situer ses actes et ses pensées sur des échelles de valeurs idéales. Un concept ne devient valeur que par l’existence d’un pÃŽle, d’un idéal, situé aussi loin comme le + infini des matheux, dans le domaine de l’utopie, et vers lequel on tend... L’ami idéal, l’amant idéal. Et l’œuvre littéraire qui provoque une rencontre avec l’idéal, si elle arrive à éviter les lieux communs et la miÚvrerie, ne peut être qu’un chef-d’œuvre. L’image de Roland dans le petit roi de Galice (in La légende des siÚcles ) est « l’incarnation » de la générosité. Utopie et contre-utopie construisent pour le lecteur un univers manichéen, certes, mais indispensable à la transmission et l’intériorisation des valeurs fondamentales, et c’est là la plus belle fonction de l’utopie.

Propositions de séquence   ►  Séquence 1 : « L’utopie au XVIIIÚme siÚcle » Objet d’étude : Argumenter, délibérer : l’essai, le dialogue et l’apologue Problématiques choisies : 1. l’art de convaincre et de persuader 2. principes de la philosophie des LumiÚres 3. l’utopie au service de la satire Lectures analytiques : 1. ROUSSEAU J.J., Discours sur l’origine et les fondements des inégalités entre les hommes  ; « conséquences de la propriété » 2. DIDEROT D., Supplément au Voyage de Bougainville  ; discours du vieillard concernant les « vertus chimériques » 3. MERCIER S., L’An 2440  ; « les ruines de Versailles » 4. VOLTAIRE, Candide , chapitre 18 « L’Eldorado » 5. MARIVAUX P.C., L’île des esclaves  ; scÚne 2 jusqu’à « Ne craignez rien. » Lectures complémentaires : HESIODE, Les Travaux et les jours  ; « l’âge d’or » OVIDE, Les Métamorphoses  ; « l’âge d’or » La Bible  ; « GénÚse » II, 8-10 MORE T., Utopia  ; « la journée des utopiens » RABELAIS F., Gargantua  ; « L’abbaye de ThélÚme » VOLTAIRE, La Princesse de Babylone  ; « les Gangarides » ORWELL G., incipit de 1984 MONTESQUIEU C.L., Les Lettres persanes  ; « les Troglodytes » Autres activités proposées à la classe : DM d’invention sur les méfaits et bienfaits du journalisme DM d’invention sur la cité idéale lecture de Vendredi ou les Limbes du Pacifique de Michel TOURNIER ou un autre roman de la liste proposée par le numéro du Magazine Littéraire sur l’utopie.

  ►  Séquence 2 : Lectures analytiques : MORE T., L’Utopie , « Des arts et métiers » RABELAIS F., Gargantua  ; « L’abbaye de ThélÚme » VOLTAIRE, Candide ou l’Optimisme  ; « L’Eldorado » chapitre XVII ZOLA E., Travail  ; « La Crêcherie » ORWELL G., 1984  ; « la novlangue ». Document complémentaire : L’architecture utopique : des embryons de cités idéales Lecture cursive : ORWELL G., 1984 .

  ►  Séquence 3 : « Voyages en pays d’Utopie » Problématique : Comment le récit et le dialogue utopiques mettent en œuvre la défense et l’illustration d’un projet de société ? Lectures analytiques : MORE T., Utopie  : Début du chapitre II : Description de l’île et chapitre II : Une société sans argent RABELAIS F., Gargantua  ;Chapitre 57 « L’Abbaye de ThélÚme » BERGERAC C.de, Les Etats et Empires du soleil  ; « La République des Oiseaux » Marivaux P.A.C., L’Ile des esclaves  ; la scÚne d’exposition. Œuvre intégrale en lecture analytique : HUXLEY A., Le meilleur des Mondes  : une contre- utopie : l’idéologie du Meilleur des Mondes et les moyens de sa contestation. La satire du primitivisme. L’édition de référence est celle des éditions Pocket n° 1438. 1/ Au Centre d’Incubation et de Développement - Chapitre 3 p. 62-67 « Lénina Crowne ?...accomplir les choses par la violence » 2/ Bernard Marx à l’Office de Solidarité - Chapitre 5 p. 100-105 « Joli début pour un Office de Solidarité... étendus à plat ventre ou sur le dos » 3/ John le Sauvage découvre Shakespeare - Chapitre 8 p.152- 156 « Un jour (John calcula plus tard...je t’apprendrai à façonner l’arc » Activités proposées à la classe : Courts exposés sur l’utopie en littérature et en architecture Le Meilleur des Mondes  : une contre- utopie Claude-Nicolas Ledoux Les Salines royales d’Arc- et- Senans, 1774-1779 Documents complémentaires : Le genre de l’utopie : histoire, caractéristiques, significations, définitions de genres proches. Rabelais Gargantua , 1535 Chapitres LII, LIII et LV : l’architecture et les mœurs de ThélÚme Voltaire Candide , 1759 Chapitres XVII et XVIII : le Pays d’Eldorado John Lennon « Imagine »,1971 Coline Serreau extraits de La Belle verte , 1996.

Des sujets de dissertation sur l’utopie   ►  Voici une correction que je proposais pour une dissertation sur la tromperie intellectuelle que peut représenter l’utopie. Une introduction habile pourrait peut-être élargir au thÚme de la mystification ; une baguette de magicien surgit parfois du stylo ! Pistes de réflexion : l’utopie est-elle une mystification ? L’utopie n’est pas une idée neuve. Platon avait déjà conçu une cité idéale, mais elle a connu des difficultés à sortir des livres où elle était confinée comme simple exercice philosophique. Elle n’est pas au monde et le public la méconnaît. Son succÚs est récent, notre temps lui donne sa chance, tout le monde la revendique et elle annexe la liberté aussi bien que la tyrannie. Elle désigne une chose et son contraire et c’est ce qui fait son malheur car elle est devenue une notion fuyante mais en même temps indispensable. Comment le même mot peut-il convenir aux fascistes et aux libertaires, aux démagogues et aux puritains, aux rêveurs et aux comptables ? L’utopie n’est-elle pas mystificatrice ? Peut-on dire que rien n’est pire que l’utopie qui devient réalité, utopie désaliénante dans l’imaginaire et oppressive dans la pratique ? La bibliothÚque utopique, infinie, est d’une grande monotonie. Elle dit toujours la même chose. Il est étonnant qu’elle ait engendré une notion aussi fluide, équivoque et contradictoire. De Platon à Cabet, existe chez tous les utopistes la ferme volonté de refaire le monde, de repartir à zéro, de construire une société parfaite qui apporterait le bonheur aux hommes. Donc, au départ, la démarche est positive, philanthropique : on rêve d’ordre, d’harmonie et d’une relative égalité. Cette utopie s’accompagne d’ailleurs souvent d’une critique préalable ou simultanée de la société existante. Malgré leur caractÚre fictif et mythique, les utopies sont en rapport avec l’histoire. Cependant, même si elle est liée à des grands moments de l’histoire, l’utopie est esclave de son étymologie. Un même fil mystérieux unit les textes utopiques : le rêve. L’utopie repose sur des principes illusoires ou du moins contestables : Foi en la bonté de l’homme (Rousseau) Efficacité de l’éducation et de la morale (Bernardin. de Saint-Pierre) Conviction que l’individu est prêt à se fondre dans le groupe pour son bonheur.(Rousseau, Montesquieu) Absence de contestation de l’autorité, naturellement reconnue. (Voltaire) Monde protégé. Rêve du retour à l’âge d’or, à l’innocence des choses (messianisme adamique), rêve d’un paradis terrestre, même si Rousseau savait que ce n’était pas possible. Les adversaires de l’utopie ont toutefois beau jeu de dénoncer cet optimisme, cet idéalisme. Mais tout le monde rêve d’une ville idéale, aussi bien le philosophe dans sa bibliothÚque que le déraciné dans son bidonville, mais entre le meilleur des mondes et le monde, le fossé peut être large. Orwell dénonçait, en 1945, celle possible dérive : « Dans toute grande lutte révolutionnaire, les masses sont mues par de grandes rêveries de fraternité et ensuite, lorsque la nouvelle classe dirigeante a bien assis son pouvoir, elles sont renvoyées à leur servitude. » Ces menaces apparaissent déjà plus ou moins nettement dans les diverses sociétés utopiques proposées. Elles suppriment l’imagination et 1’imaginaire ! La cité idéale est sérieuse. Ses emblÚmes sont la balance, la table de multiplications, l’horloge et le fil à plomb. Elles détestent le saugrenu, le désordre et l’inaccordé. Elles étranglent la liberté : les vagabonds, les amoureux, les lunatiques, les marginaux n’y sont pas à leur place. Pas d’emportements, pas de romantisme. L’État utopique est une grande caserne. Il porte l’organisation à son comble-, c’est le triomphe du systÚme. De la vie humaine, il retient la nécessité, non le hasard. D’ailleurs, aucune société historique, même la mieux planifiée, ne peut rivaliser avec la société utopique. L’utopie est ce systÚme politique dans lequel l’État a atteint une si désastreuse perfection qu’il finit par perdre son emploi, faute d’usage. Dans l’histoire, même les États totalitaires (type 3e Reich ou ex U.R.S.S.) conservent le besoin d’un gouvernement car il faut aménager une loi, régler une guerre, prendre des mesures contre la délinquance. L’utopie se passe de ces précautions car elle s’est arrangée pour abolir le temps. De plus, l’utopien est bon, discipliné, dévoué à la collectivité. L’utopie a un ennemi choisi : l’individu avec sa liberté. Pour que la cité fonctionne, il faut d’abord que l’individu meure car il est imprévisible : il désire des femmes, est envieux, jaloux, rêveur, cossard, sentimental. Il a ce défaut d’être unique et différent. Il faut donc absolument le fondre dans le corps anonyme des citoyens. L’état utopique va faire périr la liberté pour que triomphe l’égalité. La famille est une autre cible des utopistes car elle est l’ultime redoute qui résiste à l’organisation de la cité. Les utopistes soumettent l’amour, la procréation et plus tard l’éducation des enfants à des protocoles trÚs stricts. Les enfants ne sont que ce que l’éducation en fait, sans famille ni hérédité. Ils appartiennent à la communauté. La communauté vit repliée sur elle-même. Elle ignore l’autre, l’étranger, parce qu’il peut être facteur de troubles : l’Européen chez les Tahitiens, le barbare chez Platon-. Dans L’Utopie de More, les Utopiens utilisent, pour la guerre, des mercenaires qui se feront massacrer en massacrant l’ennemi ; autant de barbares en moins ! Les contre utopies dénonceront ces dangers ; certains, comme Rabelais ou Swift, construiront des cités idéales accompagnées de rêverie, de vagabondage, de désir, de liberté. Le contre utopiste déteste le groupe et les rÚglements. Enfin, cette volonté des utopistes de tout reprendre à zéro pour construire un monde nouveau avec des hommes nouveaux fera glisser l’utopie dans la barbarie quand certains chefs politiques voudront la réaliser : TroisiÚme Reich, Khmers Rouges etc. On peut déchiffrer le nazisme dans le prisme de l’utopie : restauration de l’ordre, annulation des individus et mise en place des différentes strates du parti nazi, destruction de la liberté, goût de l’uniforme. Certes, un état énorme comme l’Allemagne ne pouvait pousser à la perfection (?) extrême le modÚle utopique, du moins s’y est-il employé et il a même avoué son dessein en réalisant des projets de stricte obédience utopiste : les camps de la mort fonctionnaient comme les sociétés de More et de Cabet, avec leur ordonnance méticuleuse, leur hygiÚne, leur mécanique indéréglable, la négation enfin de toute individualité allant jusqu’à l’assassinat. De même, quand l’U.R.S.S. axait son économie sur le plan quinquennal, elle était fidÚle au thÚme utopique : elle fondait ensemble le présent et le futur. Elle consumait le temps puisque le plan faisait une réalité déjà dessinée de ce qui n’existait pas encore. Dostoïevski, qui fut fasciné par l’utopie, présente, dans Les Démons , un groupe de jeunes gens exaltés qui désirait changer le monde. L’un des plus frénétiques s’appelle Chigalev. Il propose à ses camarades conjurés un plan de bonheur universel.   ►  L’ennuyeux, c’est que ce plan hésite entre la terreur et l’amour, mais Chigalev ne s’en inquiÚte guÚre ; il se borne à en prévenir ses amis, avec une naïveté touchante- « Je dois déclarer que mon systÚme n’est pas tout à fait au point, que ma conclusion est en contradiction directe avec l’idée qui m’a servi de point de départ. Partant de la liberté illimitée, j’aboutis au despotisme sans limites. » Cet aveu est confirmé par cet aphorisme de N.Berdiaeff (épigraphe au Meilleur des mondes d’Huxley : « Les utopies apparaissent comme bien plus redoutables qu’on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant cette question bien autrement angoissante : Comment éviter leur réalisation définitive ? » Il n’en reste pas moins vrai que, malgré son caractÚre tatillon, maniaque, tyrannique ou fallacieux, l’utopie reste une espérance, rêve d’un ailleurs, d’une altérité. Elle répond à un besoin de l’homme.   ►  Je vous propose un sujet, que je n’ai pas inventé, mais j’ai oublié la source, que son auteur m’en excuse. Peu importe ; le voici : « L’utopie ou la contre utopie sont des fictions. Sont-elle efficaces pour faire réfléchir sur l’organisation sociale et politique de la société réelle ? » Un ou deux des huit élÚves qui ont choisi ce sujet ont su apercevoir l’antithÚse : c’est un signe que le sujet convient. Le corpus comprenait le texte de Hugo sur l’Europe, un extrait du Meilleur des mondes , et un extrait de l’édito de Colombani « Nous sommes tous américains ». Les élÚves avaient lu Gargantua, Candide, La ferme des animaux et des extraits dans le manuel Nathan. L’ensemble est largement suffisant pour illustrer les idées. (Jean-François P.) Analyse du sujet Il porte sur un genre : une forme particuliÚre de l’apologue : l’utopie. Mais est-ce vraiment un genre ? Oui si l’on se réfÚre à des oeuvres telles que L’utopie de Thomas More. En ce sens, l’utopie serait la description d’une société « idéale », dans son organisation sociale, politique, économique. Mais le terme peut désigner aussi tel passage d’une œuvre, comme les chapitres consacrés à l’Eldorado, contrée imaginaire, dans Candide , ou à l’abbaye de ThélÚme dans Gargantua . Enfin le terme peut désigner les mondes ou sociétés imaginaires eux-mêmes, comme dans les textes du corpus. La contre-utopie prend le contre-pied de l’utopie en ce sens qu’elle offre à la réflexion du lecteur le spectacle d’une société invivable : par exemple le roman de Huxley au titre ironique, Le meilleur des mondes . Problématique Les utopies décrivent une société idéale, donc imaginaire. Œuvres de fiction donc, éloignées de la société réelle. Pourtant l’utopie ne peut que renvoyer le lecteur à la société dans laquelle il vit, dont l’utopie offre un contrepoint, une critique, voire une transposition caricaturale. Inversement la contre-utopie souligne peut-être ce qui est en œuvre de maniÚre invisible dans la société réelle, ou bien peut avertir d’une menace : derriÚre le rêve, le cauchemar. C’est cette finalité argumentative qu¹il convient d’interroger. Le sujet entre donc dans la problématique générale de l’apologue : raconter une histoire pour instruire et faire réfléchir. On devra se demander en quoi l’argumentation indirecte possÚde sa propre efficacité, quelles en sont les limites ou les écueils si on la compare à d’autres genres fondés sur l’argumentation directe, comme l’essai par exemple. Le problÚme peut donc se formuler dans ces termes : En quoi la fiction utopique peut-elle soutenir efficacement une thÚse tout en se situant dans l’imaginaire ? Peut-elle avoir une efficacité comparable à celle d’un essai ? 1 Le détour par l¹imaginaire : une efficacité propre a) l’attrait des lecteurs pour le dépaysement b) un moyen de s’affranchir des frontiÚres du temps et de l’espace c) la simplicité des modÚles proposés : un bon support pour la réflexion d) une possibilité de mettre les théories à l’épreuve du concret 2 L¹interprétation peut être aléatoire ou incertaine a) une caricature qui ne peut pas rendre compte de la complexité de la société réelleb) contextes et références historiques parfois obscurs c) des prophéties désespérantes soit un idéal inatteignable soit une anticipation effrayante alors à quoi bon ? 3 le paradoxe de la fiction : l’œuvre de fiction révÚle le réel a) la valeur prédictive des œuvres d’écrivains pour définir un idéal politique pour mettre en garde contre des illusions dangereuses b) l’œuvre de fiction oblige à ouvrir les yeux sur la réalité présente offre en contrepoint de l’idéal une lecture des travers de la société présente oblige à voir ce qui est en œuvre de maniÚre insidieuse dans la réalité

Dystopies ou contre utopies   ►  BOYE K., La kallocaïne Dystopie passionnante d’un auteur suédois traduite en anglais. Il existerait une version française ancienne.   ►  BRADBURY R., Fahrenheit 451 (1955, Denoël, Présence du futur).   ►  HUXLEY A., Le meilleur des mondes ( Brave new world ) (1932, Presses-pocket).   ►  MATHESON R., Je suis une légende (Présence du futur).   ►  MATHESON R., Rêve de fer .   ►  NICCOL A., Bienvenue à Gattaca (film de 1997).   ►  ORWELL G., 1984 (1948, folio 822).   ►  ZAMIATINE, Nous autres (1920, L’imaginaire Gallimard).

Quelques œuvres autour de 1984   ►   L’ARC n°94, 1984.   ►   Archives des lettres modernes n° 212, 1983.   ►  BRUNE F., Sous le soleil de Big Brother, Précis sur 1984 à l’usage des années 2000 ; une relecture d’Orwell .   ►  BRUNE F., 1984 ou le rÚgne de l’ambivalence : une relecture d’Orwell (1983).   ►   Courrier international n°320-32, 1996.   ►  COURTINE J-J., RIHOIT C. et al., Orwell .   ►  CRICK B., George Orwell, une vie (Trad. J. Clem) (1982).   ►   L’école des lettres II, n°11, 1980-1981, « Utopies, thÚmes et formes ».   ►   L’école des lettres II, n°15, 1984-1985, « L’évolution de la cellule familiale dans les oeuvres de S.F. ».   ►   L’école des lettres II, n°3, 1985-1986, « La réflexion contre-utopique ».   ►   L’homme et la société , n°73-74, Juillet-Décembre1984. «  1984  ? Littérature et politique ».   ►   Le magazine littéraire , n°202, Décembre1983. « Dossier : 1984 hier et demain ».   ►  MENAHEM G., 1984 et les présents de l’univers informationnel (C.C.I., Paris, 1985).   ►  MICHÉA J-C., Orwell, anarchiste tory (Éditions Climats, 1995).   ►  REGARD F. propose une étude dans le FoliothÚque.   ►  RADFORD M., 1984 Adaptation filmée sortie en1984 avec John Hurt (Smith), Richard Burton(O’Brien). Le Télérama n°1818 du 14 novembre 1984 l’analyse.   ►  Voir le site George Orwell

Le terme « dystopie » est-il le contraire de « utopie » ? Est-il ou non un néologisme, sachant qu’il ne se trouve sur aucun dictionnaire courant, et, si ce terme existe, sur quel radical est-il construit   ►  Le terme a été également vu avec comme définition « le lieu du mal » fondé sur une antithÚse avec la 2e acception étymologique d’utopie non pas « u » mais « eu » donc « lieu du bien » ; pour l’origine peut-être l’un des deux petits livres suivants : L’utopie par F. ROUVILLOIS en G.F. ou L’utopie par M. HUGUES en 128.   ►  « Dystopie » est un terme médical pour désigner le fait qu’un organe n’est pas à sa place.   ►  Anglais et Allemands utilisent le mot (dystopia en anglais) pour parler d’une anti-utopie.   ►  Quelques spécialistes de S.F. l’utilisent en Français. Voir par exemple : « La fin du XIXe siÚcle a vu naître la dystopie, qui est proche de la Science-fiction et dont le meilleur exemple est sans doute 1984 de George Orwell (1948). Dans la dystopie, le projet utopique est présenté comme réalisé : les « bonnes » lois sont appliquées et tout le monde est donc censé être heureux. Mais cette réalisation n’est pas, comme dans l’utopie, présentée par les yeux du Sage, ou des gouvernants. Elle est vécue au quotidien par des habitants du lieu, qui subissent ces lois, dont on s’aperçoit alors, à leur souffrance, qu’elles ne sont pas aussi bonnes que le discours officiel le prétend. Ce renversement du point de vue passe par la révolte d’un héros, qui retrouve lucidité et conscience de soi, en général aprÚs une rencontre avec l’amour, évidemment interdit. »   ►  Le Trésor de la langue Française ignore le mot. Le Dictionnaire International des Termes Littéraires le liste sans l’expliquer.   ►  La dystopie (source anglo-saxonne : dystopia) correspond à une période critique et antitotalitaire qui apparaît au lendemain de l’âge d’or du scientisme, du positivisme social et de la croyance dans le progrÚs qui se dessinent durant le XIXe siÚcle. La dystopie dénonce la vanité de l’utopie fondée sur la volonté de construire un monde alternatif à la réalité, une autre réalité où l’homme est le démiurge qui façonne sa société parfaite, standardisée et loin de l’individualisme. Les nombreuses désillusions qui traversent le XXe siÚcle vont pousser progressivement les utopistes à changer leur conception de l’avenir de l’homme. L’échec des grandes idéologies, la montée du fascisme en Europe de l’Ouest et la Seconde Guerre Mondiale sont les principales causes de la dégénérescence de l’utopie. Si l’utopie désigne ce qui n’est nulle part, la dystopie est ce qui n’est plus à sa place. L’une tourne le dos à la réalité. L’autre transcende sa décadence. L’une est un cri d’espérance. L’autre un hurlement de désespoir. »   ►  Le terme figure dans le Dictionnaire portatif du bachelier (Hatier, profil). C’est un équivalent de anti - utopie. Pour Topos, le mot signifie lieu, d’où mauvais lieu...   ►  « La dystopie : une fiction politique pessimiste » p.34 du Découvertes Gallimard La Science-fiction aux frontiÚres de l’homme de Stéphane Manfrédo. « La dystopie, c’est le contraire de l’utopie. L’humanité n’a pas découvert la société parfaite mais un état d’oppression absolu, organisé scientifiquement par un régime qui écrase impitoyablement les opposants ».

Uchronies   ►  BARBET P., L’Empire du Baphomet   ►  DICK P. K., Le Maître du Haut-Château Si l’Axe avait triomphé des États-Unis ?   ►  DICK P.K., Souvenir (recueil de nouvelles) Sur les voyages dans le temps.   ►  FORSTER E M, The Machine Stops (1909).   ►  HARRIS R., Le sous-marin noir ( Fatherland ) Article wikipedia   ►  MOORCOCK M., Le nomade du temps (trilogie).   ►  MOORE W., Autant en emporte le temps Si le Sud avait gagné la guerre de Sécession ?   ►  PERRAULT G., Rapport au ReichsfÃŒhrer S.S. In Les sanglots longs (Fayard 1970).Terrifiante uchronie anti-nazie.   ►  ROBERTS K., Pavane (premiÚre publication en 1966) Si l’Invincible Armada avait vaincu l’Angleterre ?   ►  ROTH P., Le complot contre l’Amérique Et si en 1940, le fringant et antisémite notoire Charles Lindbergh avait été élu Président à la place de Roosevelt ?   ►  SCHUITEN F. et PEETERS B., la FiÚvre d’Urbicande ou La Tour (dans la série de bandes dessinées Les Cités obscures ) (Casterman) C’est une volonté de leur part que de développer un monde de SF comme si un monde parallÚle s’était développé depuis le « modern style ».   ►  SILVERBERG R., La porte des mondes Si les Turcs et les AztÚques dominaient la planÚte ?   ►  SPINRAD R., Rêve de fer .

Site à consulter   ►  Le site de Pedro Mota, La Porte des Mondes

Autres synthÚses WebLettres à consulter   ►   433. Bioéthique et utopie   ►   434. Ville et utopie   ►   500. Contre-utopies

Ce document constitue une synthÚse d’échanges ayant eu lieu sur Profs-L (liste de discussion des professeurs de lettres de lycée) ou en privé, suite à une demande initiale postée sur cette même liste. Cette compilation a été réalisée par la personne dont le nom figure dans ce document. Fourni à titre d’information seulement et pour l’usage personnel du visiteur, ce texte est protégé par la législation en vigueur en matiÚre de droits d’auteur. Toute rediffusion à des fins commerciales ou non est interdite sans autorisation.

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Humanisme 2014/2 n° 303, reflexions sur l’utopie.

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Pages 92 à 94

Article de revue

1 On ne peut que constater que, depuis l’aube de la raison, la pensée utopiste a germée et prospérée. Elle s’est développée au fur et à mesure de l’expansion des savoirs et de la confrontation des hommes entre eux. Comme si le fait d’acquérir davantage de connaissances et de biens matériels donnait à l’être humain, non pas un sentiment de satiété avec le désir d’en rester à ses acquis du moment, mais, au contraire, l’impérieuse volonté de bâtir, avec ces acquis mieux répartis et mieux utilisés, la cité idéale, la société parfaite dont tout homme a rêvé un jour…

2 La puissance du rêve utopiste a porté avec force des courants très divers, des phalanstères de Charles Fourier aux communautés soixante-huitardes en passant par les anarchistes ou les communistes par exemple. Sans oublier, bien sûr, la franc-maçonnerie dont les revues s’ornent de dessins utopistes quelque peu hermétiques. Les échecs apparents ou avérés de ces mouvements divers ont souvent dissimulé de réelles avancées.

3 L’homme s’est toujours plu à imaginer un monde meilleur. Platon en a rêvé dans La République . Les chrétiens ou les musulmans convaincus l’espèrent au paradis. Mais c’est seulement au XVI e  siècle que l’humaniste Anglais Thomas More, dans un court traité sur la meilleure forme de gouvernement, a inventé le mot « Utopie » dont il a baptisé l’île nouvelle abritant ce gouvernement idéal. L’origine grecque du mot, quelque peu troublante, signifie « sans lieu » ou « lieu inexistant ».

4 Toutefois, à part le mot, More n’inventait pas le concept qui puise à des racines anciennes et profondes. Dans son ouvrage, les Utopiens sont des hommes, avec les défauts et les qualités de leur finitude. L’auteur veut démontrer que l’autre monde est de ce monde. Ses héros sont à la peine, sans possibilité de recours à la divine providence que More a exclue de son univers imaginaire. C’est donc une utopie raisonnable qui s’appuie sur la conviction profonde de la perfectibilité humaine.

5 Ainsi, More rejoint la franc-maçonnerie car chacun d’entre nous sait bien que nous ne pouvons pas parvenir à la construction d’une société constituant l’idéal absolu. Notre objectif consiste à élargir le champ du possible et d’abord à l’explorer. À prendre nos distances par rapport au présent, à le relativiser et à imaginer ce qui pourrait être. À critiquer intelligemment l’ordre existant de manière à le réformer en profondeur lorsque c’est nécessaire. Bref, à concevoir l’utopie comme un projet politique et social en faisant une relative abstraction des réalités du moment qui peuvent paraître insurmontables et en se remémorant ces mots sublimes : «  Parce qu’ils ne savaient pas que c’était impossible, ils l’ont fait…  »

6 À la manière de l’étoile, l’idéal de l’utopiste peut paraître inaccessible. Mais toute utopie est une synthèse de rationnel et d’onirique. Elle n’a pas besoin d’aboutir complètement pour provoquer des effets car toute utopie forte possède la puissance d’irradier la réalité. Si réalisme et utopie semblent s’exclure mutuellement à la manière de deux contraires, il n’y a pourtant d’utopie efficace que réaliste et de réalisme raisonnable qu’utopique. Par essence, l’utopie porte en elle-même une grande part d’impossible et une part, difficilement appréciable au départ, de possible. La limite entre les deux peut être déplacée par la seule volonté humaine. C’est la conscience nette et profonde de cette part de possible qui permet d’affronter et d’éroder, petit à petit, la part perçue comme impossible.

7 Le véritable utopiste, contrairement à l’idéologue qui légitime le pouvoir établi, suggère d’autres formes d’autorité, d’autres modes de fonctionnement et d’autres mondes possibles. Il ménage des trouées de lumière dans le confinement de nos préjugés sociaux en prenant garde de ne pas s’imaginer que le possible prime toujours le réel, que le possible est forcément une valeur en soi sur laquelle les contraintes du présent n’ont pas de prise. En revanche, la pensée utopique ne nous condamne pas à une triste attente de ce qui ne viendra jamais. Elle nous place, au contraire, au cœur du présent, au cœur de la vie. L’utopie n’est pas à réaliser mais elle est, au contraire, la condition même de toute réalisation.

8 La pensée utopique est le moteur indispensable à l’amélioration de la condition humaine. C’est pour ces raisons que nous pouvons, que nous devons, nous francs-maçons, nous considérer et nous comporter comme des utopistes. Et aujourd’hui plus qu’hier encore. Car s’il fut un temps où les hommes pariaient sur l’avenir, où le seul mot d’avenir était un poème à lui seul, nous traversons aujourd’hui une époque où le quotidien est scandé par des préoccupations sans cesse liées à la survie, à la peur ou à l’angoisse et cela dès les premiers moments de socialisation de nos enfants. Ce règne de l’urgence interdit, trop souvent, toute projection vers l’avenir. Nous sommes entourés d’objets sophistiqués qui semblent donner un sens à notre existence. En fait, ils nous assignent à résidence, se greffent sur nos corps et nos esprits auxquels ils dictent le chemin dans un présent individualiste et nous ferment les frontières de l’avenir.

9 Cette idéologie du présent semble rendre obsolètes les leçons du passé et le désir d’imaginer l’avenir. Et c’est sur le terreau de ce désespoir que surgissent et se déploient des utopies de secours, comme si nous étions entrés dans une nouvelle époque, celle de la fin des utopies sociales et politiques. La raison, la science et le progrès semblent avoir perdu leurs attraits traditionnels et suscitent même une véritable défiance. L’époque actuelle peut être perçue comme celle de la liquidation des utopies.

10 Fort heureusement, le découragement total sied mal aux hommes et aux francs-maçons en particulier. La fin des utopies ne signifie en rien la fin des visées utopistes et l’espérance renaît parfois où on l’attend le moins. Si l’homme se sent écrasé par le rouleau compresseur de la mondialisation, sa révolte couve, néanmoins, comme un feu sous la cendre et, en particulier dans le cœur de la jeunesse.

Thomas More (1478-1535)

figure im1

11 L’utopie, qui naturellement la tenaille, la conduit à ne pas supporter que le monde reste ce qu’il est et à se refuser à composer avec ses imperfections. L’imagination sociale est une dimension constitutive de la vie en société. Et tant pis si l’histoire de l’homme est pleine de promesses non tenues : il vaut mieux tenter d’imaginer le futur que de le subir passivement.

12 Alors, à nous francs-maçons, je pose la question qui s’insinue souvent dans nos échanges, qui reste tapie au tréfonds de notre conscience et de notre esprit et qui est, en fait, l’aboutissement de cette planche : sommes nous réellement en panne d’idées comme on le prétend si souvent ? Sommes nous paralysés par ce règne de l’urgence dont j’ai parlé, enlisés dans la gangue d’un monde profondément matérialiste et individualiste dont nous serions les premières victimes inconscientes, un monde où tout s’accélère et où toute réflexion devient trop rapidement obsolète, irrémédiablement condamnée aux oubliettes de notre cheminement maçonnique ?

13 Avons-nous encore cette capacité de révolte conduisant d’abord à la perception puis ensuite au refus de l’inacceptable tout en générant l’utopie, tous ingrédients qui constituent des moteurs indispensables au changement de la société ? Avons nous autre chose à proposer que les discours officiels, autre chose qui rende crédible l’objectif chargé d’utopie qui nous est assigné par l’article premier de notre constitution et dont nous devrions être en permanence imprégnés ? Et, dans l’affirmative, par quels cheminements concrets pouvons nous faire en sorte que nos idées ne deviennent des poncifs dérisoires, terribles symboles de notre incapacité à changer le monde ?

14 Tout l’avenir de la franc-maçonnerie réside plus que jamais, me semble t-il, dans sa capacité à développer une pensée utopiste et à la porter jusqu’à l’extrême, jusqu’au bout du rêve, à pousser de nouvelles portes pour sentir, enfin, avec délice et volupté, les parfums d’air frais d’un nouveau matin.

Citer cet article

  • POUGET Denis.
  • POUGET, Denis.

https://doi.org/10.3917/huma.303.0092

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Commentaire et dissertation

L’utopie, l’utopie definition.

Utopie definition: L’utopie est un genre littéraire, aujourd’hui lié à la science-fiction. Le mot « utopie » est créé en 1516 par l’auteur anglais Thomas More qui intitule son ouvrage Utopia . L’étymologie du mot vient du grec u- (privatif)topos (lieu) c’est-à-dire un lieu qui n’existe pas.

On voit de dessus la definition de l'utopie avec le projet indien d'Auroville.

Utopie definition:

  • c’est un lieu idéal où règne un bonheur parfait. L’utopie renvoie à un pays paisible dans lequel s’impose le mythe de l’Age d’Or (tout est à profusion et disponible sans effort)
  • Société dirigée par un gouvernement idéal (sage et juste)
  • Par extension: idéal social et politique décroché de toute réalité
  • Genre littéraire ayant pour cadre un idéal absolu.

2 Utopie definition des origines:

A/les textes de l’antiquité.

Tout d’abord, dans l’Antiquité des auteurs tels que:

  • Hésiode, dans Les Travaux et les jours ,
  • Platon par la description de sa cité idéale
  • et Ovide dans Les Métamorphoses racontent des histoires ancrées dans un monde idéal où règnent la paix, la justice et l’abondance.

Le mythe de l’Age d’Or et de la Corne d’abondance sont associés à l’utopie. Elle définit une société harmonieuse et libre.

B/La récupération religieuse

  • « La Jérusalem Future » décrite dans la Bible s’apparente à la Cité Idéale de Platon. Cependant, Dieu est celui qui permet au bonheur se régner et à la justice de se répandre.
  • De même, chez Saint Augustin, la vie au paradis ressemble au Mythe de l’Age d’or, tout est à, portée de main.

C/L’humanisme

  • Ensuite Thomas More forge le néologisme « Utopia » pour désigner une île fictive sur laquelle se déroule son récit. Les Utopiens ne possèdent pas les maisons , ils changent de maison pour que chacun puisse tour à tour profiter d’exposition favorable et de jardins agréables.
  • De plus, « L’Abbaye de Thélème » (qui vient du grec Thelema: la volonté divine) de François Rabelais (extrait de Gargantua ). L’abbaye de Thélème apparaît comme un modèle, opposé aux abbayes traditionnelles. Chacun vit selon son bon vouloir: pour les horaires, les repas, l’éducation est valorisée pour les hommes comme pour les femmes.
  • Ainsi, l’utopie apparaît comme la forme de texte en parfait adéquation avec les valeurs de justice, de fraternité et d’éducation valorisées par la pensée humaniste.

D/Les Lumières

  • Le chapitre 18 du Candide de Voltaire intitulé « Eldorado » renvoie à un chapitre utopique. Les habitants d’ Eldorado comme les Utopiens de Thomas More portent des valeurs opposées à celles défendues par les Européens trop superficiels. L’ Eldorado valorisent les valeurs humaines, la justice, la sagesse, l’égalité et l savoir.
  • L’île des esclaves de Marivaux est une pièce en 5 actes qui questionne les questions du pouvoir, de l’égalité et de l’amour.
  • L’Utopie est un genre qui permet de défendre les valeurs des Lumières et de l’Encyclopédie.

3) La renaissance de l’utopie au XXème siècle

Par ailleurs, après la seconde guerre mondiale, l’utopie renaît sous sa forme inversée, elle met donc en évidence une contre-utopie aussi appelée dystopie .

Certains auteurs anglais incarnent la renaissance de l’utopie:

  • George Orwell se fait connaître avec des récits très célèbres comme La Ferme des animaux. Le roman porte sur la dénonciation du communisme et 1984 annonce les excès de la surveillance d’une société autoritaire.
  • Ray Bradbury avec Fahrenheit 451 montre les dangers d’une société autoritaire. Les habitants sont ainsi privés de mémoire et de réflexion car la lecture est bannie.
  • Aldous Huxley montre avec Le Meilleur des mondes les dangers de la science et de son usage excessif dans nos sociétés.

Si tu as des questions sur l’utopie ou la dystopie, pose-les dans les commentaires.

Pour aller plus loin:

Genres littéraires

L’argumentation

Commentaire de texte d’une utopie des Lumières: chapitre 18 de Candide (Eldorado)

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Contre-utopies

Le Pélerinage de la vie humaine

Bibliothèque nationale de France

Le Pélerinage de la vie humaine

Inspiré par le Roman de la Rose , Guillaume de Digulleville, cistercien de Chaalis, reprend à son compte dans son Pèlerinage de vie humaine le thème littéraire du songe, qu'il développe en suivant une veine allégorique chère au Moyen Âge. Guillaume prétend avoir reçu la vision de la Jérusalem céleste, et de ceux qui en obtiennent l'entrée. Ses treize mille vers content, avec beaucoup de vie et parfois de réalisme, le cheminement du chrétien partagé entre la séduction des vices et celle des vertus. Voué à un vif succès, comme bien des textes de dévotion en langue vernaculaire, le texte connut une large diffusion tant manuscrite qu'imprimée, et fut même l'objet de traductions et de versions en prose.

Le fond plus que la forme

À l’origine, et jusqu’au 19 e  siècle, l’utopie est essentiellement un complexe d’idées (la cité parfaite, construite par et pour les hommes) qui prend éventuellement et subsidiairement la forme d’une fiction littéraire (roman, récit de voyage, pièce de théâtre, poésie, etc.). Éventuellement , puisqu’on rencontre de nombreux textes utopiques adoptant d’autres formes   : essais, codes ou constitutions, chants ou manifestes. Réciproquement, la forme littéraire s’avère alors assez subsidiaire   : elle n’affecte ni n’influe réellement sur le propos, et se limite pour l’essentiel à en accentuer la radicalité, rendue plus tolérable car dissimulée derrière les artifices de l’exotisme ou du fantastique.

Mais ce qui importe d’abord, c’est bien le fond du discours, ce mode d’emploi pour sortir d’un monde jugé injuste, absurde et immoral, et pour accéder enfin, pour toujours, à l’idéal et à la vérité. Or, comme il n’y a qu’une perfection, et qu’un moyen d’y parvenir, chaque auteur n’élabore en général, à cette époque, qu’ une seule utopie (éventuellement mise en relief par la description de systèmes intermédiaires, à l’exemple de Platon dont les Lois accompagnent La République ).

Dernier signe en ce sens   : sur un plan littéraire, les utopies classiques, généralement rédigées par des philosophes, des théologiens ou des juristes, sont rarement d’éclatantes réussites (on mettra à part les œuvres de Swift ou de Restif de la Bretonne). Décidément, c’est bien le message qui compte, plus que la manière dont il est délivré.

Un genre à part entière

La lune imaginaire et réelle

La lune imaginaire et réelle

Dix ans après sa parution, le roman de Francis Godwin est traduit en français par Jean Baudoin. Cyrano de Bergerac reconnaît avoir tiré son inspiration de cet ouvrage quand il imagine sa rencontre avec Domingo Gonzales au cours de son expédition sur la Lune.

Ce n’est que vers la fin du 19 e  siècle que l’utopie va devenir un genre littéraire, ou romanesque, à part entière. À ce propos, on peut noter que cette métamorphose coïncide précisément avec le premier déclin de la pensée utopique, qui, rattrapée par les faits ou absorbée par des forces politiques actives (anarchisme, socialisme, etc.), perd peu à peu sa singularité. Parallèlement, on observe aussi que c’est le plus souvent sur le mode de «   l’uchronie   », description d’un temps qui n’existe plus ou pas encore, que va se manifester ce genre littéraire. Des écrivains «   spécialisés   », H. G. Wells en Grande-Bretagne, Jules Verne ou J. H. Rosny en France, faisant de l’utopie un thème poétique susceptible d’une infinité de variations, inventent alors le roman d’anticipation et posent les premières pierres de ce qu’on appellera bientôt la science-fiction.

La Cité des dames

La Cité des dames

Célèbre, Christine de Pisan (ou Pizan) l’est avant tout parce qu’elle fut la première femme à vivre de sa plume en Occident. Christine fut en quelque sorte l’éditeur de ses œuvres, travaillant en liaison étroite avec un enlumineur parisien de renom auquel on a précisément donné le nom de «   maître de la Cité des dames   » car quatre exemplaires de ce texte sortis simultanément de son atelier nous sont parvenus, dont deux offerts aux ducs de Berry et de Bourgogne. La double image qui introduit ici le manuscrit s’avère une traduction quasi littérale des débuts de l’ouvrage. Désolée à la lecture de tant de médisances tenues à propos des femmes par «   les hommes clercs et autres   », Christine voit lui apparaître «   trois dames couronnées de très haute dignité   »   : Dame Raison, munie d’un miroir où chacun peut se voir «   en son âme et conscience   »   ; Droiture, pourvue de «   la droite règle départageant le bien du mal et le juste de l’injuste   »   ; enfin Justice, qui tient à la main droite «   une coupe d’or fin qui ressemble à une mesure de bonne taille   », destinée à « rendre à chacun son dû   ». Elles invitent l’auteur à édifier «   une citadelle hautement fortifiée   », afin que désormais les femmes méritantes puissent avoir une «   place forte où se retirer et se défendre   ». Avec l’aide de Raison qui lui fournit «   un mortier résistant et incorruptible   », Christine entreprend de jeter les fondations de sa ville métaphorique faite de «   grands murs hauts et épais, avec leurs hautes tours larges et grandes   ». L’invention du monde passe ici par la parole et la main des femmes.

Plus nombreux encore, des écrivains célèbres utilisent ce genre pour exprimer leurs convictions, inaugurant de leur côté la figure de l’intellectuel engagé. Le prototype en est peut-être l’Anglais William Morris (1834-1896), préraphaélite polymorphe qui, après avoir fondé la Socialist League, publie en 1890 ses fameuses Nouvelles de nulle part , vision optimiste d’un monde futur revenu au repos, à la beauté et à la liberté. Émile Zola imagine dans son roman Travail (1901) une petite société heureuse, organisée selon les principes de Fourier, tandis qu’Anatole France  1 et Jack London  2 projettent dans l’avenir l’accomplissement d’un communisme d’inspiration marxiste.

L’engagement de l’artiste peut aussi se manifester en sens inverse, en particulier au 20 e  siècle, siècle des totalitarismes et des «   contre-utopies   ». C’est ainsi que E. M. Forster publie The Machine Stops (1912) en réaction aux livres de Wells, et c’est encore par ce biais que Zamiatine et Orwell dénoncent le stalinisme, ou qu’Ernst Jünger s’oppose, à travers une fiction transparente, au III e  Reich. 3

J’ai tué

«   Me voici l’eustache à la main. C’est à ça qu’aboutit toute cette immense machine de guerre.   »

Ainsi, à partir de la fin du 19 e  siècle, l’utopie relève moins de l’idéologie que de la littérature, mais d’une littérature engagée qui en fera, sur d’autres modes, un objet, un enjeu et un instrument politiques .

  • Anatole France, Sur la pierre blanche , 1903.
  • Jack London, Le Talon de fer , 1908.
  • Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre , 1939, traduit en français en 1942.

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition «   Utopie, la quête de la société idéale en occident   » présentée à la Bibliothèque nationale de France du 4 avril au 9 juillet 2000.

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sujet de dissertation utopie

Inventer de nouveaux mondes : l’utopie selon Miguel Abensour

  • Prépa Économique
  • Culture Générale
  • 29 janvier 2023
  • Daniel Bernard

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Major Prépa > Académique > Culture Générale > Inventer de nouveaux mondes : l’utopie selon Miguel Abensour

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Miguel Abensour (1939-2017) est un philosophe français, spécialiste de philosophie politique. L’ utopie constitue un de ses grands sujets de recherche. Il lui a consacré une série de quatre livres, intitulée Utopiques .

En nous focalisant sur le recueil d’articles Utopiques II : l’homme est un animal utopique , nous allons voir ce que sa pensée de l’utopie peut apporter à la réflexion sur le monde . Nous nous appuierons principalement sur les articles “La conversion utopique: l’utopie et l’éveil” (p.13 à 60), et “Persistante utopie” (p.159 à 190).

Aux origines de l’utopie

Le mot utopie vient du livre de Thomas More, L’Utopie (1516), dont tu peux retrouver une présentation ici . Dans le livre II, Thomas More décrit une société idéale , située sur l’île imaginaire d’Utopie.

Par extension, “utopie” désigne une tentative d’ imaginer une société juste , pour mieux contester l’injustice de la société actuelle . Miguel Abensour la définit ainsi (p.19) :

Le mouvement par lequel l’homme ou le collectif se détourne de l’ordre existant pour se tourner vers un monde nouveau.

Mais comment ce mouvement vers un ordre nouveau s’opère-t-il ? Comment est-ce qu’une personne ou un collectif se “tourne vers un monde nouveau”  ? Comment ce mouvement permet-il de contester l’ordre du monde tel qu’il est ?

L’utopie : un monde nouveau contre l’ordre établi

La pesanteur du monde tel qu’il est.

Lorsqu’il n’est pas remis en cause, l’ ordre social se manifeste comme ce qui ne peut pas être autrement, ce qui va de soi.

C’est ce qu’Abensour appelle le “ dogmatisme froid de l’ordre établi ” (p.25). C’est l’idée que le monde est comme ça et pas autrement, et que ça ne peut pas changer. L’ordre établi, c’est ce qui

paraît bon, ce qui convient et donc ce qui va de soi , tellement de soi que ça échappe à toute interrogation , à tout questionnement, examen, a fortiori  à toute critique, car l’ordre tel qu’il se pose, se situe, se produit et se reproduit en deçà de toute problématicité.

Cette phrase (p.25) signifie que l’ordre établi n’est pas juste ce qui “paraît bon”. C’est également ce qui va “tellement de soi” qu’on ne pense même plus à le remettre en question.

Autrement dit, le monde tel qu’il est est tellement bien établi qu’on n’arrive même plus à imaginer qu’il pourrait être différent . Il  “échappe à toute interrogation” et ne pose donc pas de problème, au sens du questionnement.

La “conversion utopique”

Or, en imaginant un monde différent, l’utopie permet justement de s’opposer à ce “dogmatisme froid” . En effet, imaginer un autre monde permet de remettre en question certains aspects de notre monde, qui auparavant nous semblaient tellement évidents que la question ne se posait même pas.

Cela explique la définition d’Abensour citée plus haut (le “mouvement par lequel l’homme ou le collectif se détourne de l’ordre existant pour se tourner vers un monde nouveau” ). A ses yeux, l’utopie n’est pas un simple genre littéraire. C’est une invitation à adopter une nouvelle attitude vis-à-vis de l’ordre établi . L’utopie nous permet en effet de voir que le monde tel qu’il est n’est qu’ un monde parmi d’autres mondes possibles, et donc qu’on peut le remettre en cause.

Il emploie un mot très fort pour désigner ce mouvement : il parle de “ conv ersion utopique”,  et même de  “conversion à l’utopie” . Le mot peut étonner : on parle habituellement de conversion lorsqu’on adopte une religion.

Abensour n’avance pas pour autant que l’utopie est une forme de religion. Il s’agit plutôt de définir une “disposition” , c’est-à-dire un type d’attitudes spécifiques qui seraient rendues possibles par l’utopie. Le terme de conversion permet d’insister sur le “mouvement” (ou  “déplacement” ) qu’est l’utopie.

La conversion utopique permet ainsi de se détourner de l’ordre établi , de même que quelqu’un qui se convertit à une religion ou à une idée se détourne de ses croyances antérieures. Cette conversion permet alors d’ adopter un nouveau rapport au monde , un rapport critique.

La haine de l’utopie

Le mot “utopie” est le plus souvent employé de façon péjorative . Elle serait alors ce qu’on ne peut pas réaliser, quelque chose de complètement irréaliste.

Mais au début de son livre (p.15), M. Abensour affirme que s’il a autant travaillé sur l’utopie, c’est justement pour s’opposer à “la haine de l’utopie” . Il explique que son  “obstination” à parler autant d’utopie découle d’une  “révolte” face à cette haine. Mais il ne fait pas que se révolter face à la haine de l’utopie : il donne aussi des outils pour comprendre pourquoi l’utopie est autant détestée.

Quels sont donc les reproches faits à l’utopie ? M. Abensour cite le procureur qui condamne le socialiste Auguste Blanqui en 1849. Dans son verdict, il dénonce les “utopies impossibles et coupables” (p.174) du mouvement socialiste.

Pour les conservateurs, en effet, l’utopie  “devient synonyme de projet chimérique, déraisonnable, “irréaliste” , impraticable, voire impossible” (p.173). Autrement dit, pour ceux qui veulent défendre l’ordre établi , l’utopie est une évasion en dehors de la réalité. Elle est donc quelque chose d’impossible à réaliser.

Dans ces reproches, on reconnaît justement le dogmatisme de l’ordre établi dont nous avons parlé plus haut. Si l’utopie est impossible et irréaliste, c’est parce que le monde ne peut pas être autrement que ce qu’il est .

Selon M. Abensour, ces critiques opèrent une “naturalisation de l’histoire” (p.173). Autrement dit, les conservateurs qui s’opposent à l’utopie confondent  “les impossibilités qui proviennent de la nature” (par exemple, devenir immortel ) avec “celles qui résultent de l’histoire” , c’est-à-dire ce qui est impossible dans un ordre social donné (par exemple, l’abolition de la propriété privée dans une société capitaliste).

Ce faisant, les conservateurs font comme si l’ordre établi était tellement naturel qu’on ne pouvait pas le remettre en cause. C’est pourquoi ils détestent les utopies, qui permettent précisément de rompre avec ce dogmatisme. Mais alors pourquoi l’utopie renaît-elle sans cesse ?

Persistance de l’utopie

Dans l’article “persistante utopie”, Abensour se demande pourquoi l’utopie “renaît” sans cesse,  “refait jour” (p.163) dans des périodes historiques très différentes. Comment expliquer que même  “au plus noir de la catastrophe” , l’impulsion vers un autre monde continue d’exister ? Comment comprendre que même quand le monde existant paraît impossible à transformer, même quand toutes les utopies ont été défaites, l’utopie ressurgit et jaillit à nouveau ?

L’utopie est-elle toujours le miroir du monde ?

Les conservateurs parlent d’une “éternelle utopie” (p.163). Selon eux, au fond, les utopies se ressemblent toutes. Elles inventent des sociétés fermées sur elles-mêmes, et statiques. Ainsi, en cherchant à imaginer le monde parfait, elles ne feraient que réinventer à chaque fois le même monde. Or, dans celui-ci, tout est prévu, et rien ne peut changer. L’utopie reviendrait toujours sous la même forme, parce que la démarche de l’utopiste serait toujours la même.

Abensour s’oppose à cette idée. Il ne parle pas d’éternelle utopie, mais bien de persistante utopie . Contrairement à ce que les conservateurs pensent, les utopistes inventent tous des mondes très différents. Ce qui persiste, ce n’est pas le contenu de l’utopie, mais l’impulsion à inventer des utopies, c’est-à-dire à imaginer un monde juste, comme il l’écrit p.163.

L’expression “persistante utopie” désigne une impulsion obstinée, tendue vers la liberté et la justice -entendons, la fin de la domination, des rapports de servitude et la fin des rapports d’exploitation.

Cette idée est liée à celle de conversion utopique, que nous avons vue plus haut. Ce qui persiste dans l’histoire, c’est le mouvement de détachement par rapport à l’ordre établi et d’invention d’un monde meilleur. Le contenu des utopies peut changer, mais l’utopie elle-même persiste.

Il y a donc un “mouvement toujours renaissant” (p.164) vers l’utopie : pourquoi ? Pour proposer deux explications complémentaires de la persistance de l’utopie, M. Abensour fait appel à deux philosophes différents : Ernst Bloch et Emmanuel Lévinas.

Ernst Bloch : l’utopie et l’inachèvement de ce qui est

Il propose tout d’abord une lecture d’ Ernst Bloch (1885-1977) . Ce philosophe allemand a notamment écrit L’esprit de l’utopie et Le principe espérance , livres qui réhabilitent la notion d’utopie.

Selon Bloch, l’utopie vient de ce que l’Être est inachevé : les choses ne correspondent pas à ce qu’elles devraient être. C’est pourquoi nous sommes en proie à la privation. De même que quand nous avons faim, nous cherchons à manger, cette privation nous pousse à chercher des moyens de la combler . Ce mouvement pour réduire l’inachèvement de l’Etre, Bloch l’appelle le “Pas encore” (p.167).

L’utopie vient donc de là. Si elle existe et persiste, c’est parce que le monde est toujours inachevé . Il n’est pas conforme à ce qu’il devrait être idéalement, et nous le sentons. L’utopie serait donc un mouvement pour sortir de ce monde inachevé, qui pousse à imaginer un monde meilleur.

Lévinas : “l’utopie de l’humain”

Par une lecture de Lévinas, Abensour suggère que la persistance de l’utopie pourrait également venir des relations entre les êtres humains .

Lévinas est en effet un penseur important de l’éthique et de la relation à autrui, qui a consacré certains textes à l’utopie. M. Abensour explique ainsi qu’il “invite à penser l’utopie sous le signe de la rencontre , de la relation à autrui comme tel dans son unicité d’incomparable” (p.170).

Le point de départ de l’utopie est donc, pour Lévinas la rencontre avec autrui , c’est-à-dire la relation avec une autre personne, où celle-ci est prise “dans son unicité d’incomparable “ , c’est-à-dire comme une personne unique .

Quel rapport avec l’utopie? Ethymologiquement, l’utopie, c’est ce qui est hors de tout lieu . Or, se rapporter à quelqu’un comme à une personne unique, la rencontrer véritablement, c’est la détacher des catégories qui servent à le connaître en le ramenant à soi (son métier, son âge, sa description physique…) en se tournant vers ce qui le rend unique.

C’est pourquoi Lévinas parle de “l’humain utopique” pour désigner cette relation proprement humaine qui va toujours au-delà des catégories fixées pour définir les personnes , et les vise dans ce qu’elles ont d’unique. C’est une autre origine possible de l’utopie : elle viendrait alors de la relation à autrui, dans la mesure où la rencontre véritable avec autrui met en cause les catégories fixées pour le définir.

Etablir un rapport entre l’utopie et la relation à autrui nous aide donc à comprendre que l’utopie n’est pas une forme de savoir : imaginer un autre monde n’aide pas à connaître ou à comprendre celui-ci. L’utopie a plutôt à voir avec un mouvement de sortie des catégories établies , analogue à la relation à autrui telle que la pense Lévinas. Mais alors, comment lancer ce mouvement ?

La “disposition utopienne”

Dans la conclusion de “Persistante utopie” (pp. 184 à 189), Abensour revient sur le type d’attitude que produit la conversion utopique. Selon lui, la “vertu”  d’un livre comme L’utopie de More n’est pas tellement de montrer ce que serait une société idéale.

L’utopie ne doit en effet pas être considéré comme un manuel, qui donnerait des solutions aux problèmes rencontrés par la société. Les utopies, comme genre littéraire, permettent surtout de créer une “disposition utopienne” , c’est-à-dire un type d’attitude spécifique à la conversion utopique. C’est cette disposition qui persiste dans l’histoire.

Inventer de nouveaux mondes

La disposition utopienne est une disposition à  “être susceptible d’ imaginer sans relâche de nouvelles figures d’une communauté politique libre et juste “ . M. Abensour s’oppose ainsi à une des critiques principales faites contre l’utopie, selon laquelle ses auteurs imagineraient un monde idéal déjà tout formé qu’il suffirait d’appliquer tel quel, et serait donc incompatible avec la nouveauté et l’évolution des sociétés. Autrement dit, puisque les utopies sont des sociétés parfaites, les imaginer rempêcherait de penser la nouveauté.

Mais à ses yeux, cette critique n’a pas lieu d’être. Au contraire, la disposition à penser des utopies est une disposition à imaginer de nouveaux mondes . Elle est donc un mouvement vers la nouveauté , et n’est pas figée ou fermée sur elle-même.

En effet, dans l’utopie, “ce n’est pas tant le résultat qui compte que le chemin vers ce résultat” . L’important, c’est le fait même d’imaginer un nouveau monde , qui conduit à remettre en cause le monde tel qu’il est. Le  “résultat” , c’est-à-dire le contenu de l’utopie en question, n’est pas une solution toute faite qu’il faudrait appliquer : il faut toujours continuer à inventer de nouvelles utopies.

La disposition utopienne est donc une disposition dans laquelle  “tout enfermement, toute installation dans un lieu devient inconcevable” . Il ne s’agit pas d’arriver à une société parfaite dans laquelle plus rien ne devrait être changé : au contraire, le mouvement vers l’utopie est destiné à toujours se maintenir ;  il faut toujours inventer de nouveaux mondes pour remettre en cause celui-ci.

L’utopie et la catastrophe

Cette conception de l’utopie intervient à un moment historique précis : après “les catastrophes du XXème siècle” , à savoir  “les camps de la mort, les camps d’extermination, la Shoah dans son unicité, les génocides qui ont suivi, dans leur égale spécificité” . En effet, après ceux-ci, peut-on encore croire à l’utopie ?

Pour Abensour, la réponse est oui : en effet après la catastrophe “surgit une nouvelle sommation utopique , le “ plus jamais ça ” se traduisant au-delà de la banalité de la formulation, par l’exigence de l’utopie” . Face à la catastrophe surgit l’exigence qu’elle ne se reproduise plus, qui se traduit par la nécessité de penser un monde meilleur qui empêche qu’elle ait lieu.

Cependant, si Abensour évoque la catastrophe, c’est pour insister sur le fait  “qu’il ne s’agit pas d’une persistante utopie triomphante “ . La  “société émancipée” vers laquelle l’utopie tourne notre regard “portera nécessairement les stigmates des souffrances des générations passées” .

Autrement dit, face à la catastrophe, il est plus que jamais nécessaire de penser de nouveaux mondes, mais ces mondes nouveaux porteront nécessairement la trace des souffrances produites par le monde ancien . L’utopie devient donc à la fois nécessaire et fragile.

Récapitulons. Que nous apprend Abensour sur l’utopie ? Une idée est omniprésente dans ses articles : l’utopie n’est pas seulement un genre littéraire ; elle est aussi et surtout un mouvement vers un monde meilleur .

Inventer des utopies ou en lire, c’est donc remettre en cause la pesanteur de la réalité . L’utopie permet de remettre en question ce qui, autrement, nous paraîtrait évident. Le plus important n’est donc pas le contenu de l’utopie, mais bien le fait même d’inventer des utopies.

Face au dogmatisme, l’ordre établi et la haine de l’utopie, Abensour propose de montrer ce que l’utopie peut avoir de fécond. Il salue ainsi la persistance de l’utopie à travers l’histoire, en montrant que si l’utopie renaît toujours, c’est parce qu’elle exprime l’espoir d’un monde plus juste . Il ne faut donc pas chercher des “solutions” dans les utopies, mais s’inspirer de l’attitude utopique, qui consiste à penser que le monde pourrait être différent de ce qu’il est .

Nous espérons que l’exemple d’Abensour te sera utile en dissertation. Consulte également toutes nos autres fiches sur “Le monde” ici , ainsi que notre podcast  avec autant d’exemples classiques qu’originaux. Bon courage pour tes révisions !

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Chapitre 9. L’utopie : un concept fondamental

Plan détaillé, texte intégral.

1 L’utopie, aujourd’hui, dans le monde de la politique et dans l’opinion publique, continue d’avoir mauvaise presse 1 . C’est un concept qui paraît dépassé ou historiquement daté, voire dangereux. La critique du totalitarisme, qui « n’hésite pas à identifier de façon abusive utopie et totalitarisme », a réactivé le vieux discours de haine de l’utopie hérité notamment de 1848 2 . L’utopie continue aujourd’hui d’être pensée de manière unique comme s’il ne pouvait en exister différentes figures selon les époques 3 . Cette réduction à l’unité l’enferme dans l’image d’une pensée a-politique par sa perfection, qui confisque le projet d’émancipation du peuple tout en prétendant pouvoir parler en son nom. Rancière, par exemple, qui adopte une telle lecture, affirme que tout projet d’émancipation doit se faire « dans la mort même de l’utopie 4  ». Negri, de manière similaire, lie le projet de la démocratie absolue à la disutopia . La « désutopie » ou « disutopie » – selon la traduction adoptée – est la reprise de la force créatrice de l’utopie sans l’abstraction qui lui est constitutive et qui la rend identique à l’illusion :

L’absence, le vide, le désir sont le moteur de la dynamique politique de la démocratie en tant que telle. Une désutopie, c’est-à-dire le sens d’une activité constitutive débordante, aussi intense que l’utopie, mais sans l’illusion, ou si l’on veut pleine de matérialité 5 .

2 Il serait intéressant d’étudier de manière plus approfondie les cas de Rancière et de Negri, pour notamment montrer que le second, à la différence du premier, ne rejette pas tant l’utopie que sa forme littéraire – quand il oppose le réalisme à l’utopie – pour mieux penser sa dimension pratique. Nous avons déjà réalisé ce travail, et ne tenons pas à le reprendre 6 . Il est de toute façon ici secondaire, car ce qui nous intéresse est de valoriser directement le concept d’utopie, plutôt que de démontrer qu’il a bien sa place, en un sens particulier, dans un penseur qui apparemment le critique.

3 Le problème, que Habermas a très bien formulé, est l’épuisement des énergies utopiques des sociétés contemporaines après la fin de l’utopie par la société du travail. L’espace public dissensuel propose une émancipation par l’idéal républicain de non-domination. L’utopie envisagée ne prend pas la figure d’un grand récit. La prétention est moindre dès lors que la lutte contre la domination est interminable. L’exercice du commun litigieux n’a pas de fin en politique. Une perspective néo-machiavélienne ne peut envisager la puissance créatrice et la visée émancipatrice de l’utopie qu’en réaction au caractère idéologique du pouvoir. L’avantage, ce faisant, est d’inscrire l’utopie au cœur même de la vie politique pour en souligner la nécessité.

4 Les travaux d’Abensour obéissent à la même intention et permettent de valoriser pleinement le concept d’utopie. Nous allons d’abord présenter très succinctement le concept de la démocratie insurgeante, avant d’engager une comparaison avec notre démarche, sur le sens même de l’utopie que nous proposons, en lien avec les notions d’ordre et d’imaginaire social.

La communauté des tous uns contre le tous Un

5 La place centrale qu’Abensour accorde à l’utopie tient à son modèle de la démocratie insurgeante. Abensour part d’une lecture originale de la pensée marxienne qui consiste à avoir une approche politique de la Critique du droit politique hégélien de 1843, dans laquelle Marx annonce l’avènement d’une démocratie véritable une fois obtenue la « disparition » de l’État. Marx, dans ce texte, n’est pas anti-démocrate. Il est au contraire un penseur du «  dêmos total » et du problème politique de son « autodétermination » qui réfléchit sur ce que devrait être une démocratie authentique 7 . Il est, pour cette raison, proche de Machiavel et du moment machiavélien en proposant une pensée foncièrement politique avec pour idéal la non-domination. Tout le travail d’Abensour est de prolonger l’intuition marxienne d’une « démocratie insurgeante » ou « démocratie contre l’État », qui permet de critiquer sa définition usuelle en termes d’État de droit sans emprunter la perspective du communisme.

6 La démocratie véritable revient à l’opposition chez Marx entre le peuple et l’ État politique ou constitution (au sens ici institutionnel). Le peuple, qui est le sujet démocratique, doit toujours faire un travail de « réduction ». Il doit opposer sa puissance et son dynamisme au caractère figé du pouvoir pour réduire sa logique de domination. Un tel travail de blocage permet ensuite une extension de la sphère politique au détriment du pouvoir – la politique désignant une expérience d’universalité, initiée par l’action politique du peuple, dont la finalité est la lutte contre la domination. Le peuple est le tout dont l’État n’est qu’une partie et une traduction statique. La démocratie insurgeante est une expression qui « signifie clairement que l’avènement de la démocratie est l’ouverture d’une scène agonistique qui a pour cible “naturelle” et privilégiée l’État, ou encore que la démocratie est le théâtre d’une “insurrection permanente” contre l’État, contre la forme État, unificatrice, intégratrice, organisatrice 8  ». La lutte contre l’État n’a pas de fin. Abensour parle encore de « césure » pour qualifier l’opposition et le conflit permanent entre le peuple et l’État, ou encore, en s’inspirant de La Boétie, entre la communauté des tous uns et le tous Un 9 . La démocratie insurgeante ne revient pas à faire le choix de l’anarchie. Il faut distinguer chez Marx l’État politique en tant que moment particulier , de l’État politique dans sa forme organisatrice . L’État politique en tant que moment particulier est fondamental. Il incarne l’expression politique du peuple à un moment donné, mais qui ensuite, inexorablement, tend à se retourner contre lui en prenant une forme organisatrice. L’État est toujours une partie qui cherche à se prendre pour le tout, que le peuple doit sans cesse combattre pour éviter que la démocratie devienne mystifiée.

7 L’opposition démocratie/État fait penser à la distinction puissance/pouvoir de Negri 10 . Mais le sujet démocratique n’est pas le même. Abensour n’est pas confronté au problème insoluble de parvenir à une expression politique de la multitude. Le sujet démocratique, dans la démocratie insurgeante, est le peuple dénié par Negri, dont l’expression politique est rendue possible si l’on sait redonner à la société civile sa dimension politique 11 . La lutte menée contre l’État unit les hommes, elle les rassemble et leur permet de former une communauté, celle des tous uns contre l’ Un . Abensour, dans La démocratie contre l’État , se dit proche des travaux de Rancière pour une opposition similaire entre la politique et la police. Leur rapprochement tient aussi à ce que la démocratie est envisagée dans les deux cas comme une manière de contester le pouvoir à ses bords, pour ré-interroger l’ordre social établi. Le conflit intervient toujours à l’extérieur de l’État.

8 La démocratie insurgeante, pour cette raison, se distingue de la démocratie « conflictuelle » qui situe le conflit « à l’intérieur de l’État, de l’État démocratique qui dans son nom même se donne comme un évitement du conflit premier, inclinant du même coup la conflictualité vers le compromis permanent 12  […] ». De notre côté, avec l’espace public dissensuel, nous proposons une démocratie conflictuelle prise dans un autre sens, qui en évite la dimension idéologique. Abensour fait de la démocratie conflictuelle une forme de démocratie mystifiée parce qu’il l’identifie au pouvoir étatique, ce qui le conduit à envisager le conflit uniquement dans sa dimension extra-institutionnelle – l’insurgeance contre l’État – alors que nous nous efforçons de concevoir le conflit dans sa double dimension, à partir d’une lecture différente de Machiavel. Il y a bien un effort chez Machiavel pour penser une politique nourrie intrinsèquement de l’antagonisme des classes, même si les grands, en raison de leur désir de dominer, cherche continuellement à tirer la loi à leur avantage, ou à faire que l’institution devienne contraire au désir de liberté du peuple. Machiavel est aussi bien « un penseur de l’ordre – contre la “ruine” des États et la corruption – et un penseur de la rupture avec l’ordre – contre la tendance du désir de domination à figer à son profit les institutions 13  ».

9 Les travaux d’Abensour ne sont pas moins fondamentaux et incontournables pour souligner le lien indissociable entre le concept d’utopie et la démocratie. Abensour, de manière délibérément polémique, parle de l’émergence d’un nouvel esprit utopique au XIX e  siècle, pour critiquer du marxisme à la fois son nouvel esprit scientifique dans sa période althusserienne des années 1970, et sa réduction de l’utopie à la « forme “infantile” de l’émancipation 14  ». Le nouvel esprit utopique est une expression pour signifier, contrairement à ce qui est couramment admis, que l’utopie persiste après 1848 sous plusieurs formes jusqu’à nos jours. Il n’est pas un courant de pensée homogène, mais une « forme de pensée sauvage », à la « foisonnante luxuriance 15  », composée de plusieurs « constellations 16  ». Le nouvel esprit utopique a pris deux orientations – il s’est soit développé de manière autonome, soit à l’intérieur du marxisme – ; il est aussi caractérisé par deux « gestes spéculatifs nouveaux 17  », que sont la théorie critique et l’œuvre d’Emmanuel Levinas. Il est impossible ici de rendre compte de toute sa richesse et de sa complexité, car il faudrait pour cela faire de longs développements pour étudier précisément un nombre important d’auteurs, d’autant plus que certains d’entre eux sont peu connus du grand public 18 . Nous allons nous concentrer sur certaines de ses caractéristiques majeures, pour établir une comparaison avec notre propre manière d’aborder l’utopie.

Utopie, ordre, et imaginaire social

10 Les analyses d’Abensour permettent de comprendre non seulement la persistance de l’utopie après 1848, mais aussi, après cette date, les mutations qu’elle a pu connaître et ses nouveaux visages, quand Ricœur, de son côté, n’en dit pas un mot, en se limitant aux utopies socialistes de Saint-Simon et de Fourier dans L’Idéologie et l’utopie . Le nouvel esprit utopique a pour caractéristique fondamentale un « mouvement d’autoréflexion critique », pour éviter « la rechute toujours possible de l’utopie dans le mythe 19  ». La persistance de l’utopie ne va pas sans la nécessité de la repenser, du moins d’être vigilant quant à ses dérives possibles. Le point commun entre le nouvel esprit utopique à développement autonome, et celui qui se développe à l’intérieur du marxisme, est d’inventer une nouvelle utopie à caractère non monologique mais dialogique . L’utopie ne doit plus être une vision imposée d’en haut, par une ou des personne(s) qui jouerai (en) t le rôle de fondateur(s) et de prophète(s). Le nouvel esprit utopique invente ou expérimente des utopies qui sont de véritables œuvres collectives, en prenant très souvent une forme associative. Pierre Leroux, par exemple, qui a grandement contribué à la formation de ce nouvel esprit, a instauré « une articulation entre utopie et politique en combattant deux fronts à la fois 20  » : d’un côté, il a démocratisé l’utopie par le modèle de l’association, pour refuser la séparation établie entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ; de l’autre, il a utopianisé la démocratie , pour « cesser de la penser simplement comme un régime politique, un État de droit, mais comme une institution spécifique du social qui, loin de couper avec l’inspiration utopique, avec la recherche d’une altérité, s’y nourrit sans cesse pour mieux lutter contre la dégénérescence toujours menaçante de la démocratie 21  ».

11 La fonction de l’utopie s’en trouve modifiée : l’utopie n’est pas là pour « dicter la vérité à la praxis  », mais pour susciter ou renforcer chez les individus un désir de liberté, un désir de lutter contre ce qui les domine, ce que William Morris appelait sa « fonction d’organisation 22  ». L’utopie doit éduquer au désir, non au sens moral d’une normativité pour faire le tri entre les bons et les mauvais désirs, mais dans celui d’un éveil ou d’un réveil, en suscitant ou en injectant du désir. L’utopie a pour fonction de « remédier à la faiblesse d’appétence 23  ». Elle n’est pas de l’ordre de la raison, du savoir, mais de la passion, en jouant elle-même le rôle d’une « maïeutique passionnelle 24  ». « L’utopie cesse d’être vision pour devenir séduction, excitation à l’action présente 25  ». Sur ce point, Abensour insiste avec pertinence sur la théorie critique qui permet de travailler sur le caractère contradictoire de la modernité ; la théorie critique noue un « rapport critique à la dialectique de l’émancipation , c’est-à-dire au mouvement paradoxal par lequel l’émancipation moderne se renverse en son contraire et donne naissance à de nouvelles formes de domination et d’oppression, en dépit de son intentionnalité émancipatrice de départ 26  ». La théorie critique permet d’être attentif à ce que la modernité a d’auto-destructeur et d’idéologique, pour mieux favoriser, a contrario , le désir d’émancipation des individus.

12 Plusieurs de nos remarques rejoignent les conclusions d’Abensour. Ou plutôt : sans le nommer ainsi, nous avons nous-même abordé certaines constellations du nouvel esprit utopique, ou certains courants qui ont pu contribuer à sa formation par notre étude de la théorie critique, à plusieurs reprises, quand nous avons souligné le style particulier employé dans La Dialectique de la raison pour susciter le désir d’émancipation par la provocation, mais aussi à l’occasion d’une réflexion sur la meilleure manière de dénoncer l’aspect idéologique du néo-capitalisme, par les notions de paradoxe ou de contradiction. Plus généralement, il n’y a pas d’opposition ou d’antinomie radicale entre notre approche de l’utopie par sa tension conflictuelle avec l’idéologie – qui ne se limite pas à Ricœur – et les travaux d’Abensour. Dans les deux cas, l’intention est la même : valoriser l’utopie, et montrer qu’elle est indispensable à la démocratie, au point de favoriser chez l’homme un « désir d’utopie 27  ». Dans les deux cas également, il s’agit de l’utopie pratique, de l’utopie comme « déplacement du réel », qui opère une épochè , à savoir une contestation ou la « mise entre parenthèses de l’ordre établi 28  ». Abensour parle lui-même de la tension conflictuelle entre l’idéologie et l’utopie : établir un lien entre utopie et épochè permet de dénoncer l’erreur commune de ranger l’utopie « du côté de l’illusion, de l’imaginaire et de la fausse conscience – de là la liaison entre utopie et idéologie […] » pour au contraire établir « une logique non plus associative mais disjonctive entre l’utopie et l’idéologie 29  ». Ses analyses, toutefois, permettent d’étudier précisément, dans sa dimension pratique, le nouvel esprit utopique – non pas l’utopie, mais des utopies, avec notamment une analyse très intéressante de l’ utopie de l’humain proposée par Levinas – quand Ricœur, comparativement, a une approche à la fois trop normative et abstraite de la tension entre l’idéologie et l’utopie. Ricœur ne dit pas comment l’utopie, dans les sociétés contemporaines, peut advenir, mais insiste seulement sur sa nécessité en démocratie. De même part-il des travaux de Mannheim pour les compléter, lequel Mannheim est rarement cité par Abensour, à juste titre, tant il est vrai qu’il a peu ou pas contribué à la formation du nouvel esprit utopique 30 . Notre intention n’est pas de revendiquer une place centrale à Ricœur dans le nouvel esprit utopique – cela n’a aucun sens – mais de montrer qu’il est lui aussi favorable à une revalorisation de l’utopie, jusqu’à en faire une condition de possibilité de l’exercice démocratique.

13 Cela dit, il y a bien des différences. La première, minime, tient à notre lecture de Habermas, que ne partage pas du tout Abensour. Pour lui, Habermas, « de par sa critique de La Dialectique de la raison et son éclectisme 31  », s’est lui-même exclu de la Théorie critique, alors que nous avons démontré, de notre côté, qu’il est un héritier de la théorie critique en reprenant l’opposition entre l’idéologie et l’utopie. Passons. La grande différence, qui a des conséquences sur la manière de concevoir l’ordre social, est que nous abordons l’utopie à partir de la notion d’imaginaire social. Cela implique d’accorder à l’imagination un statut transcendantal, dans une perspective phénoménologique qui consiste à partir de la représentation que les individus se font non seulement de leur relation à autrui, sur le plan interpersonnel, mais plus largement de leur identité collective, et de tout ce qui vient la nourrir, l’entretenir, aussi bien par le symbolique, le mythologique, que par des pratiques de mystification ou des idéologies – que l’utopie, dans ce cas, doit permettre de contester. Notre étude de l’imaginaire social – depuis Loraux, mais fondamentalement avec Machiavel, Lefort et Ricœur – nous conduit à travailler sur l’ordre et le désordre, sur la question de l’homogénéité et de l’hétérogénéité sociales, avec indubitablement une justification en partie de l’ ordre institué (la reconnaissance de sa nécessité pour un minimum de cohésion sociale, quand bien même nous le faisons précéder du désordre dans une perspective néo-machiavélienne, en prenant pour principe politique le conflit) que ne partagerait pas Abensour. Il y a de fortes chances pour que les deux premières fonctions de l’idéologie soient totalement étrangères à Abensour, ou suspectées par lui d’être l’expression d’une approche acritique de l’idéologie. L’ordre, pour Abensour, invoque péjorativement la pensée hobbesienne. Hobbes est l’incarnation de la mauvaise philosophie politique qui invente un ordre sous la forme d’une domination, à partir d’une conception totalement fausse de l’état de nature (et de la nature humaine) sous la forme d’un chaos. La pensée hobbesienne est une pensée de l’État, qui, au nom de la paix, impose sa logique « unificatrice, intégratrice, organisatrice 32  ». L’État est l’Un, le tous Un , qui nie la communauté des tous uns . Abensour oppose l’ ordre au lien  : non pas le «  pouvoir sur les hommes , identifié en tant que tel à la domination […] [mais le] pouvoir entre les hommes  –  inter homines esse  – […] [le] pouvoir avec les hommes 33  » ; non pas le commandement, la hiérarchie, l’obéissance, mais l’égalité, l’isonomie, l’amitié ; au lieu de l’unification, le lien par la division ; au lieu de la domination, la politique, c’est-à-dire le collectif, et le « rêve du collectif » qu’est l’utopie.

14 Nous partageons avec la même virulence sa critique de l’ordre comme domination. Mais l’ordre est aussi Ordnung , agencement, mise en forme, avant de relever du commandement, dans lequel les relations interpersonnelles existent déjà. Notre étude de Machiavel nous conduit à penser de manière indissociable le conflit civil et l’imaginaire social, dans une perspective qui part du désordre pour penser l’ordre, mais qui oblige aussi à penser l’ordre sur un plan culturel : pas simplement les relations interpersonnelles, mais aussi la mémoire collective, l’idéologie dans sa fonction d’intégration, la dimension symbolique des institutions, ou bien encore la question de la nécessité de pratiques d’homogénéisation pour rendre possible la formation d’une identité collective. En actualisant Machiavel par l’imaginaire social de Ricœur, nous sommes amenés à dire, d’une part, pour reprendre la question de l’ordre et du désordre, que l’idéologie a autant d’importance que l’utopie dans la construction et la vie d’une identité collective ; d’autre part, dans la logique de l’antagonisme entre les grands et le peuple, que la tension entre l’idéologie et l’utopie est indépassable ou qu’elle n’a pas de fin.

15 D’où une troisième différence avec Abensour : l’utopie, de notre côté, est toujours contre  ; elle est une réaction, une opposition à l’idéologie, quand Abensour, lui, parle d’un désir d’utopie « premier, actif, et offensif 34  ». Il reproche justement à Lefort de concevoir le désir de liberté uniquement comme un désir en réaction à la domination des grands, au lieu de définir le peuple par le désir d’utopie, « désir d’une société meilleure, différente 35  ». Le sous-entendu préjudiciable de Lefort serait d’identifier l’état de non-domination à un état statique, pleinement homogène, sans conflit, donc aussi sans utopie – au lieu de le penser comme un « processus dynamique », grâce à la « diversité des passions 36  ». Effectivement, dans une logique machiavélienne, le désir de liberté est toujours une réaction. Et nous avons montré sur ce point que Machiavel ne part pas d’une vision anthropologique ou d’une conception de la nature humaine pour aborder la politique, mais toujours des circonstances et de la contingence d’un ordre social donné qui assigne deux positions, d’un côté les grands, de l’autre le peuple. La persistance de l’utopie après 1848 permet de penser que l’homme est un « animal utopique » pour Abensour : chose impossible pour Machiavel, non pas en raison d’une conception pessimiste de la nature humaine (même s’il recourt, parfois, à l’hypothèse d’une méchanceté naturelle de l’homme), mais parce que l’homme est pour lui un espace de possibles, que détermine toujours un certain contexte, une certaine position sociale. La conception de Lefort est donc tout à fait logique dans une perspective néo-machiavélienne, qui est également la nôtre.

16 Mais il y a plus : le sous-entendu de Lefort n’est pas de dire qu’un état de non-domination serait la mort de l’utopie, mais tout simplement qu’il est impossible, en raison des rapports de force entre les classes sociales, ou du fait du pouvoir. La permanence de la domination – du désir de domination – est la vérité effective de la vie sociale, qui empêche de penser une absoluité ou une essentialisation du désir d’utopie, mais souligne avec plus de force la nécessité de préserver ou de rendre possible la persistance de l’utopie. Il y a, chez Machiavel, une réflexion sur l’ ethos de la liberté qui est applicable au désir d’utopie : de même que le désir de liberté est parfois impossible dans certaines situations, rendant l’expérience républicaine impraticable, bien que souhaitable, de même le désir d’utopie, malheureusement, est parfois absent ou très faible chez les individus, même s’il s’agit de tout faire pour le susciter dans la perspective de l’expérience démocratique.

17 À supposer, enfin, que soit possible un état de non-domination, ce serait pour Abensour l’expérience d’une vie politique par la force des liens sociaux, non pas en l’absence d’institutions – de celles qui sont en faveur de la domination , oui – mais avec des institutions du côté de l’ émancipation , de la liberté. Abensour a tenu à faire cette distinction pour préciser que l’insurgeance n’est pas incompatible avec l’institution. Que la nouvelle forme d’utopie, avec le nouvel esprit utopique, perde toute « tentation étatique 37  » ne signifie pas que l’insurgeance est extra-institutionnelle – autrement dit anarchique. Il y a, au contraire, transition possible et nécessaire entre l’insurgeance et l’institution car l’ effervescence n’est pas l’ instantanéité  : l’insurgeance, parce qu’elle vise l’effectivité, a besoin de s’inscrire dans le temps, elle est une « disposition à l’insurrection » qui s’inscrit « dans une tradition insurrectionnelle, voire […] révolutionnaire 38  », et qui ne peut se prolonger qu’en s’aidant de l’institution comme d’un instituant. L’état de non-domination serait donc un état non seulement politique, mais culturel. Il y aurait bien en lui des institutions, des traditions, une culture commune de l’insurgeance, un ethos démocratique : donc d’une certaine manière un ordre au sens de l’ Ordnung  – un agencement, l’institution d’un état social – qui ne peut que favoriser le jeu libre des utopies, pour en appeler, comme le dit Abensour, à un être-autrement ou à un autrement qu’être , à un nouveau topos contre le topos institué, et ceci indéfiniment, ou bien à une sortie du réel, « un voyage vers l’autrement qu’être 39  », dans une collectivité tout au plaisir de créer. Nous disons la même chose, mais il est vrai en insistant davantage sur l’ordre, sur l’homogénéité – quand bien même nous sommes nous-même partisan du « lien de la division 40  » en faisant du conflit un facteur de cohésion sociale. L’ordre comme agencement requiert la fonction d’intégration sociale de l’idéologie, pour renforcer l’identité collective et les figures du commun et de l’homogène, ce qui justement rend nécessaire le geste subversif de l’utopie, pour lutter contre les dérives et les excès de cette logique intégratrice, en indiquant qu’une autre société est possible. Il est sûr, en tout cas, que le désir de liberté et le désir d’utopie vont de pair, sans quoi la démocratie deviendrait lettre morte.

18 En partant de l’imaginaire social, notre intention n’est pas de noyer l’utopie dans un ensemble vaste ou nébuleux, où il deviendrait difficile de la distinguer du symbolique, du mythique. Nous y sommes conduits par le lien indissociable qui existe chez Machiavel entre le conflit civil et l’imaginaire social, dans une réflexion sur l’ordre et le désordre. Que l’utopie ne désigne qu’une partie de cet imaginaire social n’en minimise pas l’importance. En revanche, cela l’inscrit dans une tension conflictuelle indépassable avec l’idéologie, qu’il ne faut pas seulement comprendre en termes d’ opposition , mais aussi de mutation , transformation , passage possible de l’utopique à l’idéologique selon les changements qui adviennent dans les rapports de force entre les classes sociales. L’utopie est un pas de côté, une extra-territorialité, très souvent décriée comme illusoire par ceux qui sont au pouvoir, mais qui peut elle-même devenir idéologique en y accédant, en se sédimentant. Il est fortement probable que ce soit notre lecture de Machiavel – peut-être même notre républicanisme – qui nous éloigne ou nous distingue de la démarche d’Abensour. Mais ses travaux restent et demeurent incontournables pour qui désire actualiser l’utopie, pour en faire la condition de possibilité d’une démocratie authentique.

19 Nous aimerions, pour finir, faire une critique de Ricœur sur deux points concernant le rapport entre utopie et imaginaire social, pour donner quelques éléments sur la manière de poursuivre ou d’approfondir notre réflexion à l’avenir. La première remarque a déjà été évoquée : le défaut de Ricœur est d’avoir une conception beaucoup trop abstraite de la tension conflictuelle entre l’idéologie et l’utopie. Il faudrait prendre en compte les mutations survenues aussi bien en politique (la bureaucratisation, la mondialisation, mais aussi récemment l’exigence d’une démocratie plus participative) que sur un plan social (en ce qui concerne les classes sociales : leurs caractéristiques, reconfiguration, l’évolution de leurs rapports de force). Il faudrait également s’intéresser aux interactions qui existent entre les sphères politique, économique, et technologique, avec une attention particulière accordée aux mass media , pour voir comment l’idéologie et l’utopie, in concreto , peuvent à la fois être fabriquées et transmises. Sur ce premier point, nous l’avons vu, la théorie critique est précieuse pour son analyse du néo-capitalisme, dans son aspect idéologique et contradictoire, mais il faudrait élargir les recherches.

20 La deuxième remarque porte sur la créativité de l’imaginaire social. Ricœur n’envisage la confiscation de l’utopie que par la dimension idéologique du pouvoir, ou bien encore par le jeu des partis qui consiste à dénigrer le projet de l’adversaire en le qualifiant négativement d’utopique. Or, le pouvoir peut tout aussi bien y parvenir en produisant lui-même des utopies pour domestiquer ou étouffer l’imaginaire social, ou bien en favorisant les utopies qui l’arrangent, en faisant vivre certaines, pour en laisser mourir d’autres, pour reprendre le langage de Foucault dans Il faut défendre la société . Il ne fait pas seulement qu’empêcher un espace des possibles en dehors du réalisme qu’il impose, il peut aussi chercher à en maîtriser l’expression pour canaliser la créativité sociale et avoir une mainmise sur les esprits. Il peut se servir d’une utopie comme contre-feu pour s’assurer de l’adhésion des sujets par manipulation de leurs esprits. Le tout est soit de créer, soit de favoriser l’émergence d’une utopie qui sert ses propres fins, ce qui n’est possible que si les individus ignorent qu’il s’agit en réalité d’une idéologie. Le capitalisme, par exemple, a façonné l’imaginaire social contemporain par l’utopie de la société du travail, se donnant ainsi une certaine légitimité. Les partis politiques, majoritairement, s’y réfèrent encore en associant le progrès à la croissance économique. Mais ils peuvent aussi reprendre à leur compte le désir d’une altermondialisation, ou des préoccupations écologiques, etc., pour asseoir leur pouvoir, au lieu d’être véritablement porteurs d’une nouvelle politique ou manière de faire de la politique.

21 Il ne s’agit donc pas de se contenter des analyses ricœuriennes sur la tension conflictuelle entre l’idéologie et l’utopie – nous les avons déjà complétées par notre étude de la théorie critique – mais d’approfondir à l’avenir l’étude de l’utopie à partir de la notion d’imaginaire social, par une analyse beaucoup plus précise du pouvoir, du néo-capitalisme, et des médias, pour comprendre tout ce qui peut entraver ou favoriser aujourd’hui la créativité des citoyens.

Notes de bas de page

1  Le monde intellectuel, en effet, fait exception, car on assiste depuis peu à une multiplication de publications et de débats sur l’utopie qui semble la remettre au goût du jour. « Les choses bougent », pourrait-on dire, et on ne peut que s’en réjouir, bien qu’il faille se méfier de tout phénomène de mode. Nous nous concentrerons ici sur un auteur qui, lui, en tout cas, s’efforce depuis bien longtemps, et par gros temps – envers et contre tout ? – à revaloriser l’utopie. Il s’agit de Miguel Abensour. Pour preuve de la vivacité contemporaine du thème de l’utopie, cf. notamment le Centre de recherche sur l’utopie – « L’archipel des devenirs » – au sein du Laboratoire de Changement Social et Politique (LCSP), Université Paris-Diderot – Paris 7 ; l’atelier « Pratiques utopiques » organisé en 2016 par le laboratoire Sophiapol (EA3932), Université Paris Ouest Nanterre La Défense.

2  M. Abensour, « L’homme est un animal utopique » Entretien avec Miguel Abensour, S. Dayan-Herzbrun et al ., Mouvements , 2006/3 n° 45-46, p. 76. Abensour situe un des foyers les plus virulents du discours critique de l’utopie « chez Reybaud ou chez Sudre dont L’Histoire du communisme (1848) a été plagiée et pillée au XX e  siècle » ( Ibid. , p. 76). L. Reybaud, Études sur les réformateurs ou socialistes modernes , Paris, Guillaumin Cie, 1864.

3  Pierre Macherey, à ce sujet, parle de « dilemme méthodologique », entre approches structurale et génétique de l’utopie, c’est-à-dire entre la conception d’un modèle unique de l’utopie pouvant tout au plus connaître des variantes au cours de l’histoire, et celle d’une multiplicité de figures de l’utopie, dont l’enchaînement peut être discontinu. À juste titre, il opte pour la seconde, en distinguant les utopies classiques (Thomas More et Tommaso Campanella), comparables à des « romans de l’État », des utopies modernes qui apparaissent au XIX e  siècle (Robert Owen, Saint-Simon, Charles Fourier). Les utopies modernes ne sont plus prioritairement politiques mais sociales, en étant caractérisées non par la fermeture – une île, coupée du reste du monde – mais par un mouvement d’expansion à l’ensemble de la société. Elles se passent de l’État ou ne sont pas une autre manière – par le récit – d’en manifester le pouvoir ou l’essence. L’utopie fouriériste, par exemple, est apolitique en ce qu’elle récuse le primat du politique étatique, mais témoigne d’une nouvelle conception de la politique par le modèle de la libre association. P. Macherey, De l’utopie ! , Le Havre, éd. De l’incidence, 2011. L’expression « roman de l’État » est de Pierre-François Moreau ( Le récit utopique. Droit naturel et roman de l’État , PUF, coll. « Pratiques théoriques », 1982).

4  J. Rancière, La nuit des prolétaires , Paris, Fayard, coll. « L’Espace du politique », 1981, p. 11.

5  A. Negri, Le pouvoir constituant. op. cit. , p. 21. Les termes désutopie et disutopie sont employés de manière équivalente pour traduire la disutopia . François Matheron, par exemple, pour la traduction française du Pouvoir constituant , utilise le terme désutopie. Pour l’emploi du terme disutopie, cf. A. Negri, « La souveraineté aujourd’hui : entre vieilles fragmentations et nouvelles excédences », Tracés , n°#08, 2008, p. 117.

6  Cf. S. Roman, Conflit civil et imaginaire social , thèse citée , p. 433-434, 467-472.

7  M. Abensour, La Démocratie contre l’État. Marx et le moment machiavélien , Paris, Le Félin, coll. « Les Marches du temps », 2004, p. 83.

8   Ibid. , p. 9.

9  E. De la Boétie, Le discours de la servitude volontaire , Paris, Payot, 1976.

10  Negri oppose la puissance ( potentia ) de la multitude à la logique du pouvoir ( potestas ). Cf. notamment L’anomalie sauvage. Puissance et pouvoir chez Spinoza , (1981), trad. F. Matheron, Éd. Amsterdam, coll. « Caute ! », 2006, p. 24.

11  Le peuple n’existe pas pour Negri – l’unité qu’il suppose est contraire à la multiplicité et à la diversité de la multitude – ou bien n’est-il qu’une traduction historique et réductrice du pouvoir constituant de la multitude en un corps social constitué. Negri altère le sens que Machiavel donne au concept de multitude. Machiavel parle indistinctement, la plupart des cas, du peuple ( populo ), de la multitude ( moltitudine ), ou de la plèbe ( plebe ). Or le peuple chez Machiavel a bien une unité. Il désigne l’ensemble des personnes qui partagent le même désir de non-domination contre les grands, contrairement à Negri qui fait de la multitude une chair sans corps, aux désirs imprécis ou sans finalité. Negri reconnaît lui-même que son interprétation diffère de celles de Machiavel, Spinoza et Marx, tout en considérant que son propos, loin de trahir leurs pensées, leur est d’autant plus fidèle qu’il parachève le sens de la multitude qu’ils n’ont fait que découvrir. Machiavel, Spinoza, Marx, bien que proposant un athéisme, n’auraient pas su se déprendre de l’idée, héritée de la tradition judéo-chrétienne, que « toute expérience est ramenée à l’unité » (A. Negri, Le pouvoir constituant , op. cit. , p. 405). À vrai dire, le sens que Negri donne à la multitude se rapproche davantage de la figure machiavélienne de l’ infima plebe ou du populo minuto dont il est question à l’occasion de la révolte des Ciompi , tout en commettant l’erreur de faire de Machiavel le premier défenseur des prolétaires (cf. supra . p. 58).

12   Ibid. , p. 19.

13  M. Gaille, Conflit civil et liberté , op. cit. , p. 192. Marie Gaille reproche également à Abensour de n’envisager que la dimension extra-institutionnelle du conflit civil, de manière infidèle à Machiavel. Il y a bien une institutionnalisation de la désunion entre les grands et le peuple, même si cette institutionnalisation, en raison du désir de domination, est toujours à repenser.

14  M. Abensour, La communauté politique des « tous uns ». Entretien avec Michel Enaudeau , Paris, Les Belles Lettres, 2014, p. 300.

15  M. Abensour, « L’homme est un animal utopique », art. cit ., p. 86.

16  M. Abensour, La communauté politique des « tous uns » , op. cit. , p. 301.

17   Ibid ., p. 304.

18  Très schématiquement, en ce qui concerne les deux formes du nouvel esprit utopique (les cas de la théorie critique et de Levinas seront ultérieurement abordés) : le nouvel esprit utopique à développement autonome correspond au « fouriérisme dissident représenté par Joseph Déjacque et Ernest Coeurderoy par exemple » ( Ibid ., p. 305) ; celui à l’intérieur du marxisme est parti d’un double principe : d’une part, que la meilleure manière de prolonger Marx est de le reprendre de manière dissidente ou critique ; d’autre part, que sa critique des « grandes utopies matricielles », ou utopies socialistes du XIX e  siècle (Saint-Simon, Fourier, Owen) « ne signifie pas pour autant la fin de l’utopie. Les manifestations en sont soit théorico-pratiques – William Morris et certaines tendances du surréalisme –, soit purement théoriques – Ernst Bloch, Walter Benjamin » ( Ibid ., p. 309).

19  M. Abensour, « L’homme est un animal utopique », art. cit ., p. 80.

20   Ibid ., p. 75.

21   Ibid ., p. 75.

22  M. Abensour, La communauté politique des « tous uns » , op. cit. , p. 321. W. Morris, Nouvelles de nulle-part , trad. de l’anglais par V. Dupont, Paris, Aubier, 1977.

23   Ibid ., p. 322.

24   Ibid. , p. 306.

25   Ibid. , p. 323.

26   Ibid. , p. 330.

27   Ibid. , p. 368.

28   Ibid. , p. 349.

29   Ibid ., p. 351-352.

30  Abensour cite Mannheim pour sa compréhension de la transformation de l’utopie dans la modernité, à savoir de ne plus relever de l’espace mais du temps (l’utopie devient « assignée au temps », Ibid ., p. 353). Et encore, sur ce point, Mannheim est très secondaire, car Ernst Bloch est la référence principale. De notre côté, la lecture d’ Idéologie et utopie nous convainc que Mannheim, par sa sociologie, ne se contente pas seulement de comprendre l’utopie, mais cherche à lui redonner de la vigueur, contre le conservatisme de son temps. En ce sens, s’il n’y a pas contribution , il y a néanmoins une affinité de sa pensée avec le nouvel esprit utopique, nous semble-t-il.

31   Ibid ., p. 365.

32  M. Abensour, La Démocratie contre l’État , op. cit. , p. 9.

33  M. Abensour, La communauté politique des « tous uns » , op. cit. , p. 97.

34   Ibid. , p. 368.

35   Ibid. , p. 368. La démocratie insurgeante reprend en partie « l’idée libertaire de la démocratie telle qu’elle a été développée par Claude Lefort sous le nom énigmatique et, en tant que tel, inventif, de « démocratie sauvage » (M. Abensour, « Utopie et démocratie », art. cit ., p. 35). Le tort de Lefort, outre de concevoir le désir de liberté de manière réactive, est d’avoir abandonné ensuite cette idée, d’une part en ne parlant plus de luttes de classes, d’autre part par une lecture de la Révolution française – notamment de la Terreur – « qui a préparé […] son retour au libéralisme » ( La communauté politique des «  tous uns  », op. cit. , p. 66).

36   Ibid. , p. 369.

37   Ibid ., p. 323.

38   Ibid ., p. 140-141. « Ainsi, lors des insurrections de l’an III qui prirent appui sur les sections parisiennes, ou sur ce qui en restait, ceux des députés montagnards qui furent favorables au mouvement rétablirent l’institution de la permanence des sections supprimée par les robespierristes en septembre 1793 » ( Ibid. , p. 141). Un exemple de passage possible de l’insurgeance à l’institution est la reconnaissance par la Constitution de 1793 d’un droit à l’insurrection pour le peuple. Les Constituants de 1793 avaient une conception machiavélienne de la Constitution, ils voulaient l’établir en faveur du peuple. Mais la Constitution de l’an III a ensuite supprimé ce droit.

39  M. Abensour, « L’homme est un animal utopique », art. cit ., p. 86. L’ autrement qu’être désigne surtout l’utopie de l’humain de Levinas, mais aussi la conception de l’utopie par Morris dans les Nouvelles de nulle part .

40  Le « lien de la division » est une expression de Nicole Loraux citée par Abensour ( La communauté politique des « tous uns » , op. cit. , p. 96 ; La cité divisée , op. cit. , p. 93).

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Cours : La dystopie : la fin de l'utopie

La dystopie : la fin de l'utopie

Introduction :

L’histoire contemporaine est marquée par une violence sans précédent qui a pu se déployer selon des fins industrielles (les camps du Goulag de l’URSS exploitant des prisonniers pour construire des infrastructures économiques) ainsi que par des moyens industriels (les camps d’exterminations nazis). Les totalitarismes soviétiques et nazis ont produit une représentation de l’humain plus que jamais pessimiste. Cette transformation, liée à la violence de l’histoire du XX e  siècle, a mis à mal les utopies que la littérature et la philosophie avaient pu proposer, d’ Utopia de Thomas More (1516) au Phalanstère de Charles Fourier (1830), qui décrivent des modèles d’idéaux politiques et sociaux. « Utopie » signifie « sans lieu », par définition, elle n’existe donc pas dans le réel. Elle se conçoit toutefois comme une perfection qui, si elle est inaccessible, peut toujours être visée pour que l’humanité progresse.

Au XX e  siècle, les utopies laissent la place aux dystopies, du grec dys -, préfixe qui traduit le dysfonctionnement d’un système, et topos , le lieu. Une dystopie décrit le mécanisme d’un pouvoir totalitaire représenté au travers d’une société imaginaire où un faux bonheur est organisé et cache, aux yeux même des êtres humains, le malheur dans lequel ils sont plongés. Elle est donc une utopie apparente qui tourne au cauchemar. Le rôle de la dystopie est d’alerter contre les nuisances de l’application pratique d’une idéologie totalitariste. C’est pourquoi le genre de la dystopie relève de l’anticipation. Mais plus qu’une fausse utopie, la dystopie est une critique de l’utopie comme fondement et justification des systèmes totalitaires. Ainsi, le régime nazi s’ancrait dans une utopie suprémaciste raciale, et l’URSS reposait sur une utopie communiste.

Notre violence actuelle est-elle le signe de la fin de l’humanité ?

Dystopie et politique

Le Meilleur des mondes d’ Aldous Huxley , paru en 1932, est l’un des premiers romans d’anticipation décrivant une société dystopique. Publié dans l’entre-deux guerres, en pleine période de crise sociale, trois ans après la crise de 1929, il présente une critique acerbe du système capitaliste américain.

Aldous Huxley (1894-1963) est un écrivain, romancier et philosophe britannique, connu pour son roman Le Meilleur des mondes , mais aussi pour Les Portes de la perception , ensemble d’essais qui relatent les expériences vécues sous l’effet de la mescaline, une drogue psychédélique.

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Le Meilleur des mondes est un titre ironique qui renvoie à l’idée de l’optimisme philosophique de Leibniz selon lequel l’univers, la société et l’humanité sont nécessairement parfaits. Selon lui, le monde est organisé harmonieusement par l’intelligence divine. Voltaire , dans son livre Candide ou l’Optimisme , avait déjà repris cette formule à titre critique : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » . Dans le titre de Huxley, le retrait de l’adjectif « possible » désigne dès lors un monde qui serait absolument parfait en soi. Cette utopie apparente dissimule à peine une dystopie dont l’histoire se déroule à Londres à une date imaginaire.

Dans cette société, les hommes vivent dans un État unique appelé « l’État mondial » . Ceux qui y vivent sont des individus socialement dressés. Ceux qui ne le sont pas appartiennent aux « sauvages » et sont regroupés dans des réserves. Pour ce qui est de l’éducation, l’enseignement de l’histoire a disparu, jugé inutile. En réalité, les anciennes sociétés ont été détruites à cause d’une guerre mondiale, la « guerre de 9 ans » .

Concernant la religion, les cultes chrétiens sont interdits, considérés comme trop passionnés. Les croix chrétiennes ont été coupées à leur sommet pour former un « T », qui symbolise l’être suprême, à savoir Henry Ford, et fait référence son modèle de voiture, la Ford Model T. La supplication « Dieu du Ciel ! » est remplacée par « Ford du Tacot ! » Les fidèles doivent prendre le Soma, la drogue du bonheur qui peut plonger dans l’illusion d’une béatitude paradisiaque.

Ici, la référence à Henry Ford, un entrepreneur américain à qui on doit le modèle industriel fordiste, montre l’ancrage de la dystopie dans le réel . Bien qu’il s’agisse d’une fiction qui se situe hors du monde réel, on comprend que le véritable sujet de l’œuvre est une critique de la société contemporaine. À la différence notable d’une utopie, la dystopie ne se situe pas seulement hors du monde, elle en est le reflet.

Henry Ford (1863-1947) est un entrepreneur américain à l’origine du modèle industriel fordiste, qui s’inspire du taylorisme et s’appuie sur la division du travail et la conception de systèmes de production standardisés. Autrement dit, il est à l’origine du travail à la chaine dans les usines.

Alt texte

La reproduction sexuée habituelle n’existe plus. Tous les humains sont fabriqués en laboratoire, dans le Centre d’incubation et de conditionnement de « Londres Central » . Les fœtus se développent dans des flacons. Un traitement des embryons détermine leur futur statut et leur place dans la hiérarchie sociale, avec les aptitudes, les attitudes et les goûts qui vont avec. Les embryons qui sont destinés à faire partie des castes inférieures reçoivent une dose d’alcool : celle-ci vient perturber leur croissance, les rend rachitiques et produit des effets traumatiques. Cette pratique eugéniste a pour but de réguler le marché du travail et de prévoir le nombre de personnes dont la société a besoin pour assurer tel ou tel service et satisfaire tel ou tel besoin. Le « service de prédestination » s’occupe de cette gestion, notamment en définissant des quotas. Les individus destinés aux castes inférieures sont produits en série selon des procédés qu’on appellerait aujourd’hui de « clonage » et qui sont ceux de la fabrication à la chaîne des voitures Ford, selon les principes de l’organisation scientifique du travail (le modèle fordiste). Enfants, les individus reçoivent un enseignement « hypnopédique » , c’est-à-dire un apprentissage par des conditionnements mentaux qui ont lieu durant leur sommeil. Le but est d’ancrer en eux une morale subconsciente garantissant leur docilité.

La société stigmatise les sujets tels que la reproduction sexuée, la maternité, la famille et le mariage. La sexualité existe comme activité, non de reproduction, mais seulement de plaisir. La durée des relations est limitée à quelques semaines, afin que des liens d’attachements n’apparaissent pas. La contraception est extrêmement développée. En ce qui concerne la vie sociale, tous les membres de la société, quel que soit leur rang, sont conditionnés pour être de bons consommateurs. La participation à la vie sociale est obligatoire et la solitude est un comportement considéré comme marginal et suspect.

Dans l’extrait suivant, John dit « Le Sauvage » est arrêté par la police après un moment de révolte. Une discussion a lieu avec Mustapha Menier, un représentant du Gouvernement Mondial. Après que John ait critiqué la société de consommation et ce qu’elle a fait de l’homme, à savoir un lâche qui s’ignore et n’a plus rien de « noble, beau et héroïque » , Mustapha Menier lui répond :  

« – Mon cher jeune ami, dit Mustapha Menier, la civilisation n’a pas le moindre besoin de noblesse ou d’héroïsme. Ces choses-là sont des symptômes d’incapacité politique. Dans une société convenablement organisée comme la nôtre, personne n’a l’occasion d’être noble ou héroïque. Il faut que les conditions deviennent foncièrement instables avant qu’une telle occasion puisse se présenter. Là où il y a des guerres, là où il y a des serments de fidélité multiples et divisés, là où il y a des tentations auxquelles on doit résister, des objets d’amour pour lesquels il faut combattre ou qu’il faut défendre, là, manifestement, la noblesse et l’héroïsme ont un sens. Mais il n’y a pas de guerres, de nos jours. On prend le plus grand soin de vous empêcher d’aimer exagérément qui que ce soit. Il n’y a rien qui ressemble à un serment de fidélité multiple ; vous êtes conditionné de telle sorte que vous ne pouvez vous empêcher de faire ce que vous avez à faire. Et ce que vous avez à faire est, dans l’ensemble, si agréable, on laisse leur libre jeu à un si grand nombre de vos impulsions naturelles, qu’il n’y a véritablement pas de tentations auxquelles il faille résister. Et si jamais, par quelque malchance, il se produisait d’une façon ou d’une autre quelque chose de désagréable, eh bien, il y a toujours le soma qui vous permet de prendre un congé, de vous évader de la réalité. Et il y a toujours le soma pour calmer votre colère, pour vous réconcilier avec vos ennemis, pour vous rendre patient et vous aider à supporter les ennuis. Autrefois, on ne pouvait accomplir ces choses-là qu’en faisant un gros effort et après des années d’entraînement moral pénible. À présent, on avale deux ou trois comprimés d’un demi-gramme, et voilà. Tout le monde peut être vertueux, à présent. On peut porter sur soi, en flacon, au moins la moitié de sa moralité. Le christianisme sans larmes, voilà ce qu’est le soma. »

Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes , 1932.

Dans cette société, en apparence, tout va bien, donc. Mais la répression y est latente et la violence larvée. Le conditionnement collectif suffit à étouffer toute révolte en retirant cette idée de l’esprit humain et en limitant ses aptitudes, intellectuelles, physiques et morales.

  • L’éducation ne relève pas du développement personnel mais de l’insertion professionnelle prédéfinie.
  • La connaissance scientifique n’est en aucun cas vulgarisée (mais ses secrets sont bien soigneusement cachés).
  • La pensée critique est anesthésiée. Ainsi, pas de philosophie. Les médias (la télévision notamment) diffusent des informations et des divertissements futiles qui sont autant de tranquillisants sociaux et de formes d’endormissement des consciences. Le bavardage, comme forme non critique de l’échange verbal, est favorisé. Rien de sérieux ne doit être mis en avant : tout doit être léger et joyeux, standard humain exhibé par la publicité.

Le Meilleur des mondes révèle donc différents problèmes que l’auteur souhaite mettre en lumière : la société de consommation, l’idéal fordiste, la drogue et l’abandon des valeurs chrétiennes. À la différence du genre littéraire de l’ essai qui s’appuie sur la démonstration, la dystopie s’appuie sur la monstration : l’auteur montre, par le biais d’un discours fictionnel, les défauts de la société. Ce n’est pas l’adhésion par la raison que l’auteur cherche à susciter chez le lecteur, mais une adhésion par l’émotion. La lecture de l’œuvre d’Aldous Huxley provoque volontairement un sentiment de malaise qui nous pousse à rejeter cette société supposément idéale.

Dystopie et paranoïa

En outre, beaucoup de dystopies montrent comment des systèmes totalitaires se construisent autour du délire mégalomane de certains dictateurs. Dans ce cas, la dystopie dévoile une société qui a l’air réelle et évoque de près des formes historiques du totalitarisme, notamment celle du nazisme. C’est en ce sens que le groupe Pink Floyd, a composé un album concept sur le sujet, The Wall , album musical sorti en 1979 qui a fait l’objet d’une adaptation cinématographique, un film musical, réalisé par Alan Parker, sorti en 1982.

Alt texte

Pink Floyd est un groupe de rock britannique, psychédélique et progressif, fondé en 1965. Il est connu pour de nombreux albums, notamment The Dark Side of the Moon et Wish you were here .

Dans The Wall , Pink est une star du rock qui, depuis son enfance, se fabrique un mur protecteur derrière lequel il croit pouvoir se réfugier et se protéger. Ce mur est à la fois mental et social. Il construit cette barrière pour se préserver du rejet des autres qu’il subit depuis son plus jeune âge : son père est mort à la guerre et il cherche en vain un père de remplacement. Il est rêveur en classe et son instituteur l’humilie devant les autres élèves parce qu’il écrit des poèmes au lieu de suivre le cours et d’ânonner les leçons du maître. Sa mère est trop protectrice et castratrice. Plus tard, son mariage est un échec et il sombre dans la drogue. À chaque étape traumatisante de sa vie et de sa relation aux autres, une brique est ajoutée à la forteresse intérieure : encore une brique de plus dans le mur – idée qui renvoie à la fameuse chanson « Another Brick in the Wall » – dont les interstices sont comblés pour devenir un enfermement totalement hermétique qui va produire ses propres monstres et ses propres délires.

Ce mur finit par étouffer Pink dans sa solitude et son malheur, jusqu’à la démence, une sorte de paranoïa qui, au-delà de la pathologie individuelle, constitue le symbole du sentiment de persécution que nous subissons tous dans notre système. En psychiatrie, la paranoïa est un trouble mental dont les symptômes sont des difficultés relationnelles, un enfermement sur soi et un délire de persécution dans lequel les autres sont vus comme des menaces d’agression. Cette pathologie peut s’accompagner d’une tendance à la mégalomanie en réaction aux comportements de protection, ce qui est le cas chez Pink : enfant esseulé, il devient une star à l’âge adulte et, dans un ultime délire qui relève très probablement de l’hallucination, il opère une mutation physique : la star de rock se transforme en dictateur.

Dans le film, trois chansons successives représentent l’apparition de cette dystopie mentale qui prend des allures de dystopie politique dans laquelle un dictateur veut imposer son régime totalitaire. Le processus de prise de pouvoir décrit dans ces trois chansons est comparable aux trois étapes qui ont mené Hitler au pouvoir.

Dans la première chanson, « In the Flesh? », juste après la mutation de la rock star en dictateur, Pink se rend à un meeting politique dont il est la vedette, tout comme il était la vedette de ses concerts. Il est désormais vêtu d’habits noirs, serrés de cuir à la taille, les cheveux tirés en arrière. Dans ce rassemblement politique, le ton est tout de suite donné : discours enragé au micro, couleurs rouges et noires, grands drapeaux tombant du plafond haut avec un sigle représentant deux marteaux qui se croisent, allusion à la croix gammée nazie. Pink salue la foule en croisant ses deux avant-bras, poings croisés, et la foule l’imite. La foule, aliénée à la cause de Pink, est en délire. Au milieu des signes de puissances, on aperçoit des feux dans de grandes coupes et des chiens de garde dans les allées. Une fanfare de cuivres et de percussions ainsi que des chœurs ponctuent le discours du dictateur. Le décor et l’ambiance de ce grand rassemblement rappellent clairement une autre dystopie qui a également fait l’objet d’une adaptation cinématographique, à savoir 1984 de George Orwell , adapté en film par Michael Radford.

La deuxième chanson, « Run like hell », décrit la volonté de faire disparaître les personnes qui appartiennent à une « catégorie indésirable » : le paranoïaque veut détruire tous ceux qu’il croit être la source de son délire de persécution. Pink sort du meeting. Le public s’est transformé : les visages humains ont été remplacés par des masque anonymes et impassibles, sous l’effet du discours de Pink. Les individus sont devenus interchangeables. On ne leur demande qu’une seule chose : obéir. Les masques sont les mêmes que ceux des enfants au moment où apparaît, dans le film, la chanson «  Another brick in the wall  », lorsque Pink est encore écolier : les élèves masqués et à la démarche raide marchent sur un tapis qui les mène à une machine à broyer et les transforme en viande hachée.

« Run like hell » rappelle la terreur de la Nuit de cristal , pogrom nazi où des juifs allemands ont été assassinés, et des synagogues et des commerces juifs ont été détruits en novembre 1938. Dans The Wall , les personnes noires et les personnes juives connaissent le même sort.

Enfin, la troisième chanson « Waiting for the worms » décrit le point culminant de la folie et du délire de persécution de Pink : le persécuté mentalement persécute physiquement. En voici le texte et sa traduction :

Eins, zwei, drei, alle Oh, you cannot reach me now Oh, no matter how you try Goodbye, cruel world, it’s over

Sitting in a bunker here behind my wall Waiting for the worms 1 to come In perfect isolation here behind my wall Waiting for the worms to come

Waiting to cut out the deadwood 2 Waiting to clean up the city Waiting to follow the worms Waiting to put on a black shirt 3 Waiting to weed out the weaklings Waiting to smash in their windows And kick in their doors 4

Waiting for the final solution 5 To strengthen the strain Waiting to follow the worms Waiting to turn on the showers And fire the ovens 6 Waiting for the queens and the coons And the reds and the Jews 7 Waiting to follow the worms

Would you like to see Britannia Rule again, my friend? All you have to do is follow the worms Would you like to send our colored cousins Home again, my friend? All you need to do is follow the worms

Un, deux, trois, tous Désormais, vous ne pouvez plus m’atteindre Vous pouvez toujours essayer Adieu, monde cruel, c’est terminé

Poursuis ta route

Assis dans un bunker, là, derrière mon mur J’attends que les vers 1 arrivent Complètement isolé, derrière mon mur J’attends que les vers arrivent

J’attends de couper le bois mort 2 J’attends de nettoyer la ville J’attends de suivre les vers J’attends de revêtir une chemise noire 3 J’attends d’éliminer les faibles J’attends de briser leurs fenêtres Et d’enfoncer leurs portes 4

J’attends la solution finale 5 Pour faire grimper la tension J’attends de suivre les vers J’attends d’ouvrir les douches Et de chauffer les fours 6 J’attends les homosexuels et les nègres Et les rouges et les Juifs 7 J’attends de suivre les vers

Aimerais-tu voir la Grande-Bretagne Régner à nouveau, mon ami ? Tout ce que tu as à faire, c’est de suivre les vers Aimerais-tu renvoyer nos cousins de couleur Chez eux, mon ami ? Tout ce que tu as à faire, c’est de suivre les vers

1 En anglais, «  worms  » signifie à la fois « vers de terre » et « minables », « bons à rien ». 2 En anglais, l’expression «  cut out the deadwood  » désigne à la fois l’action de couper le bois mort d’un arbre et le fait de se débarrasser des improductifs, des indésirables. 3 La chemise noir fait référence à l’uniforme SS. 4 Il s’agit ici d’une référence à la Nuit de cristal. 5 Le terme « solution finale » fait référence au génocide perpétré par les nazis. 6 Les douches et les fours font référence aux chambres à gaz et aux fours crématoires des camps d’extermination nazis. 7 Les homosexuels, les « nègres », les rouges et les Juifs font référence aux victimes du nazisme.

L’action du dictateur est engagée, le processus est irréversiblement enclenché : « Tu ne peux plus m’atteindre maintenant / Peu importe à quel point tu essayes » .

  • Le totalitarisme apparaît au grand jour et va s’imposer au monde.

L’action, à ce moment du film, illustre un principe politique que Machiavel avait déjà énoncé au XVI e  siècle dans son livre Le Prince  : le pouvoir s’appuie sur l’adulation et la crainte.

Les « vers » ( « the worms » ) de la chanson représentent tous ceux que le dictateur veut écraser : bons à rien, boulets de la société, homosexuels, communistes (les « rouges » ) et juifs.

Le cynisme du texte réside dans la phrase « Adieu monde cruel » , le monde cruel étant ici la société démocratique que Pink veut remplacer par son « monde meilleur », son « meilleur des mondes », sa dictature.

L’expression « nettoyer la ville » indique clairement une volonté de « purge » : il s’agit d’éliminer tous ceux qui gênent. La référence à la Shoah est explicite : « Attendant la solution finale / Attendant d’ouvrir les douches / Et de chauffer les fours » .

L’un des effets déroutants de cette représentation est l’association de ces références nazies à l’Angleterre ( « Aimerais-tu voir la grande Bretagne / Régner à nouveau, mon ami ? » , signe que les horreurs du totalitarisme auraient pu venir d’un autre pays que l’Allemagne.

Le caractère terrorisant des scènes est renforcé par l’insertion de passages de dessins d’animation de Gerald Scarfe montrant notamment les marteaux du signe dictatorial qui se croisent pour marcher au pas, sous la forme de géants qui nous écrasent.

Conclusion :

Ainsi, le genre de la dystopie s’est développée historiquement pour décrire les mécanismes du totalitarisme et en particulier ceux qui se manifestent à partir du XX e  siècle. La dystopie a pour fonction, à l’origine, de révéler les limites de l’utopie conçue comme projet de société, comme ce fut le cas dans le régime nazie notamment. Mais sa principale fonction est de caricaturer certains traits de la société moderne par le biais de romans fictionnels d’anticipation afin d’en mettre en lumière les défauts et les déviances possibles. Outre le système politique, elle peut alors aborder de nombreux thèmes : les drogues de synthèse, le rôle des nouvelles technologies, l’intelligence artificielle, la bioéthique, etc.

L'encyclopédie philosophique

Utopie (gp).

Fabri, Eric (2017), «Utopie (GP)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique , consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/utopie-gp

Publié en janvier 2018

Résumé

Toute utopie est une fiction, mais toute fiction n'est pas une utopie. Qu'est-ce alors qui fait de l'utopie un genre de fiction spécial ? Quel est ce caractère distinctif qui permet d'affirmer que les œuvres de Tolkien, de G.G. Martin ou d'Isaac Asimov appartiennent au registre de la (science-)fiction et celles de Platon, de Thomas More, ou de Charles Fourier, relèvent de l'utopie ? Il est possible de répondre à cette question à travers un rapide tour d'horizon (non exhaustif) de trois des plus célèbres utopies, et d'ainsi montrer que ce qui constitue la spécificité de la littérature utopique peut être compris comme une tension entre un « non-lieu » ( u-topia ) et un « bon-lieu » ( eu-topia), tension qui s'exprime toujours à partir d'un écart mobilisateur entre « ce qui est » et « ce qui pourrait être ». On voit alors ce qui est en jeu dans l'utopie : aucune utopie n'est « neutre » ou « indépendante » de son contexte d'écriture. Au contraire, en montrant à une époque son reflet plaisamment déformé - comme à travers un miroir embellissant -, elle rappelle et souligne au Narcisse les défauts que le verre efface. L'objet de l'utopie (et son intérêt pour le lecteur) n'est pas tant l'univers utopique tel qu'il est décrit que la critique que sa simple présentation adresse en négatif au monde dans lequel vivent l'auteur et le lecteur. Dans les lignes qui suivent, trois des plus célèbres utopies nous permettront de clarifier cette dynamique constitutive de l'utopie qui consiste, pour le dire rapidement, à accuser les déficiences de la situation contemporaine telle que la perçoit l'auteur en pensant un « mieux » possible où ils apparaissent corrigés.

Il est d’usage de faire commencer l’histoire de l’utopie avec Platon, dont la cité idéale passe pour être le premier moment où l'on distingue le récit utopique du mythe. Dans La République , le philosophe grec s'applique à dégager les principes de l'organisation politique qui devrait régir cette cité idéale conformément au principe central de son système philosophique : l'Idée du Bien. Pour cela, Platon met en scène des dialogues entre Socrate et différents interlocuteurs (Glaucon, Thrasymaque, et d’autres) à l’occasion desquels la cité idéale est décrite comme structurée autour de trois classes ayant chacune leur fonction particulière et leurs règles sociales propres : la classe des gardiens, chargée de la défense de la cité, la classe des philosophes rois qui dirigent la cité, et enfin la classe des artisans et agriculteurs, qui sont en charge de la vie économique et de la production.

Cette cité idéale, première utopie que Platon appelle kallipolis (ou littéralement : belle-cité ), exemplifie bien cette dynamique du genre utopique puisqu'elle est une construction qui vise autant à dépeindre un ordre politique idéal promouvant la vertu et la justice car conforme à l’Idée du Bien qu'à condamner implicitement la démocratie athénienne qui était alors en pleine crise. Témoin de la chute d'Athènes en 404 av. J.-C., Platon intègre en effet dans sa réflexion politique les virtualités autodestructrices de la démocratie : donner le pouvoir au peuple implique que celui-ci puisse se tromper, ne pas réussir à limiter son orgueil, ou prendre tout simplement des décisions qui vont contre son intérêt réel. De cette analyse, il tire sa condamnation générale de la démocratie. Pour Platon, son vice caché réside dans son principe même : le gouvernement du peuple par le peuple n'est ni possible, ni désirable et ne saurait donc constituer le régime politique idéal. Dès lors, plutôt que de laisser le pouvoir au peuple, Platon prend le parti, dans sa kallipolis , de le confier à ceux qui ont eu accès à l'Idée du Bien et peuvent, en toute connaissance de cause, régler le politique sur cette Idée : les philosophes. Dans l'utopie platonicienne, l'Idée du Bien (d'où découlent les autres idées), doit organiser la cité idéale dont les philosophes sont les techniciens, les opérateurs pratiques qui grâce à leur savoir vont pouvoir traduire l'Idée du Bien dans la réalité. C'est à ce titre que l'on peut considérer Platon comme un penseur utopique : réagissant aux risques et aux excès qu'il perçoit comme constitutifs de la démocratie athénienne, ce régime qui a condamné son maître à penser Socrate, il va imaginer un nouvel ordre politique conforme à l'Idée du Bien, la kallipolis, qui vient remédier aux désordres des institutions qu'il connaît, et particulièrement de la démocratie qui a causé, selon lui, la chute d'Athènes.

Mais en plus de cette intuition philosophique forte, la cité idéale de Platon devient rapidement l'occasion d'exprimer d'autres virtualités utopiques, qui apparaissent elles aussi comme des contestations implicites de la réalité athénienne de l'époque. Deux institutions centrales de la kallipolis semblent particulièrement en décalage, et Socrate lui-même pressent que ses interlocuteurs risquent de se montrer réticents à les accepter. En premier lieu, dans la classe des gardiens de la cité idéale, les hommes et les femmes recevront strictement la même éducation et pourront remplir les mêmes fonctions sociales. En second lieu, les gardiens partageront en communauté le strict nécessaire dont ils ont besoin selon le principe « entre amis, tout est commun » . En plus de cela, les gardiens auront également en commun les femmes et les enfants, point hautement problématique pour la plupart des commentateurs.

2. Thomas More

La description que fait Platon de la cité idéale fera couler énormément d’encre, et initiera de très nombreux débats. Il en est un surtout qui aura un succès énorme dans la littérature utopique au moment où les développements modernes du principe de propriété donneront à voir le monde idéal comme un monde débarrassé des excès autorisés par la propriété privée: il s'agit de la communauté des biens. C'est un des éléments essentiels que Thomas More empruntera à Platon. Ainsi, en 1516, dans sa description de l'île d' Utopie (qui donnera son nom au genre), alors que telle une lame de fond, le mouvement des enclosures   mettait à mal les pratiques traditionnellement communales de partage de la terre en Angleterre et générait des inégalités d’une nature et d’une ampleur nouvelles, Thomas More oppose à la privatisation de la terre dont il est le témoin le principe platonicien de propriété commune. Le philosophe anglais décrit, via le récit de Raphaël Hythlodée, la société idéale comme une société d'abondance, sans propriété privée, où toutes les terres sont communes et où la production est distribuée de manière juste par l'Assemblée Républicaine qui rassemble les représentants des villes de l'île (et qui tient lieu d’État). De la même manière, l'exemple de l’île d’ Utopie est aussi un plaidoyer pour la tolérance religieuse et une meilleure répartition des richesses et du travail. Dans ce véritable traité politique en forme de récit de voyage, More dépeint en fait ce à quoi pourrait ressembler l'Angleterre avec de meilleures institutions. Pour être certain que son lecteur ne rate pas la métaphore, More va jusqu'à donner à l'île d' Utopie les mêmes caractéristiques physiques que l'Angleterre de l'époque. La description de cette « Angleterre transfigurée » a un double versant : côté pile l'île d' Utopie illustre un ordre politique idéal, tandis que côté face ce régime politique plausible constitue une critique tranchante de la société anglaise marquée par les enclosures . La propriété commune en vigueur en Utopie et l'égalité politique qu'elle amène entre ses habitants montraient plus efficacement qu'aucun pamphlet ou acte d'accusation l'injustice des inégalités autant politiques qu'économiques qui caractérisaient l'Angleterre du début du XVIème siècle. De la même manière, en affirmant que les Utopiens vivent paisiblement en autosubsistance et ne travaillaient que six heures par jour, Thomas More force son lecteur (d’aujourd’hui comme d’alors) à interroger le rapport qu'entretient la société avec la nécessité du travail, sa répartition, et la distribution de ce qui est produit.

3. Fourier, Saint-Simon et Owen

A l'instar de Platon et de Thomas More, ceux que l'on appellera les « socialistes utopiques » vont également imaginer de nouveaux modèles de sociétés possibles et désirables qui sont autant d'organisations politiques « idéales » répondant chacune à leur manière aux défis de leur temps. Charles Fourier (1772-1837), le comte de Saint-Simon (1760-1825) et Robert Owen (1771-1858) partagent un même constat sur la transformation majeure que connaît leur époque : la révolution industrielle est ambivalente. Elle est porteuse autant de misère sociale que de promesses d'abondance prochaine. Ils sont frappés par les destructions que la domination du capital sur le travail peut opérer autant que par la misère sociale qui accompagne l'expression d'un capitalisme parfois sauvage. Refusant cette ambiguïté, ils donnent un contenu aux promesses de la révolution industrielle et développent des modèles de société utopiques où les contradictions qu'ils observent se résolvent, et où la révolution industrielle n'est plus porteuse que d'une modernité heureuse pour l'humanité.

Pour Saint-Simon, cette société idéale s’incarne dans une société où le travail industriel est porté à son apogée, une société sans oisifs où les industriels (aux côtés d’artistes, de philanthropes, et d’hommes entreprenants) dirigent et organisent les forces vives pour les mettre au service du progrès et de l'humanité. Ce redéploiement du travail sous l’égide de la raison éclairée des industriels permet de réaliser le bonheur industriel, cet état où l'abondance permise par la technique supprimera tous les conflits sociaux, et effacera même la nécessité du politique, résorbé dans l’économique et pris en charge par les industriels. Pour Owen, cela passera par le développement d'associations de travailleurs autogérées, dans lesquelles les travailleurs possèdent le capital de leur entreprise. Les travailleurs deviennent donc des capitalistes qui, parce qu’ils détiennent les moyens de production, décident de l’organisation de la production de la coopérative dans laquelle ils travaillent. Le développement des coopératives abolit les rapports de salariat, et supprime le pouvoir des capitalistes sur ceux qui n'ont d'autre choix que de vendre leur force de travail pour survivre tout en réalisant la démocratie dans l’entreprise. A mesure que les entreprises se transforment en coopératives, le travail ne sera plus une tare, mais un épanouissement, et entraînera une redistribution plus égale des profits entre les détenteurs du capital – c’est-à-dire les travailleurs - qui engendrera une élévation du niveau de vie général et promouvra l'éducation. Dans l'utopie de Robert Owen, les transformations de l'organisation du travail donnent naissance à une société égalitaire, éduquée, et sans domination du travail par le capital.

Fourier quant à lui développe le modèle le plus radicalement décalé et le plus original, sur lequel il est intéressant de s'attarder un peu plus longuement. Dans son utopie, cet autodidacte français, originaire de Besançon, imagine restructurer l’organisation socio-économique d'abord nationale, puis mondiale, autour d'un nouveau type de communauté organisée : le phalanstère. Sorte de palais sociétaire partagé par les quelque quatre-cent familles qui composent sa population, le phalanstère est une entité indépendante, véritable île au milieu de la société industrielle, à partir de laquelle ses habitants exploitent en commun les champs environnants. Dans le phalanstère, Fourier repense de fond en comble l'organisation sociale qui prévaut à son époque. Son but est de rendre celle-ci enfin conforme à la nature de l’Être en général, et plus particulièrement à la véritable nature humaine qu’il se targue d’avoir découverte. En effet, Fourier ne construit pas son idéal politique en fonction de l’idée qu’il se fait du Bien ou du Juste, mais en fonction de son analyse scientifique de la nature des choses et du principe d' Harmonie qui ordonne l’Être dans son ensemble. Sa méthode est calquée sur celle des sciences exactes et particulièrement inspirée de Newton. Selon Fourier, l’homme est avant tout un être composé par ses passions. Ces passions sont l’équivalent dans le domaine social du principe d'attraction révélé par Newton : tout comme l’attraction régit les mouvements des corps physiques, les passions agissent les individus et les font exercer préférentiellement telle ou telle autre activité. A partir de cette compréhension du monde et de l’individu, Fourier imagine un modèle d'organisation sociale qui s'accorde à la nature passionnelle de l'homme. Il part donc d'une analyse « scientifique » de la nature humaine pour en déduire quels sont les principes d'une société qui permettrait enfin à la véritable nature humaine, c'est à dire pour Fourier aux passions qui composent l'homme, de s'épanouir pleinement dans ses activités quotidiennes.

A quoi ressemblerait une telle société ? Pour répondre à cette question, il s'agit d'abord de bien comprendre ce qu'est la nature passionnelle de l'être humain pour Fourier. Celui-ci dénombre treize passions : cinq passions « sensitives » qui correspondent aux cinq sens ( goût , tact , vue, ouïe , odorat ) ; quatre passions « affectives » qui sont l’amitié , l’amour , l’ambition et le familisme (maternité et paternité) ; trois passions « distributives » qui sont considérées à tort par la morale comme négatives : la papillonne (ou besoin de changement, de varier les activités), la composite (ou l’enthousiasme, l’envie de créer, la fougue et l’entrainement), et la cabaliste (ou le goût des intrigues, la volonté de réussir, d’arranger les choses à son avantage) ; et pour finir la passion pivot, l'unitéisme, qui est la passion de l'unité, ou la tendance englobante à vouloir accomplir ses passions et à se réaliser en tant qu’être passionnel de manière unitaire (passion qui peut dégénérer en égoïsme).

Ces passions peuvent être plus ou moins fortes et se combiner de multiples manières. C’est ce qui explique la diversité des caractères et la récurrence de certaines associations en fonctions des passions dominantes. Fourier identifie ainsi 810 caractères idéal-typiques, dont on trouvera deux occurrences (une de chaque sexe) dans le phalanstère, qui est idéalement composé de 1620 individus. Le phalanstère est ensuite sous-divisé en différentes séries, qui sont des unités de travail groupant les individus selon leurs passions et les tâches à réaliser. Le travail se fait en groupe (ce qui satisfait les passions de groupisme ), prend la forme d'un jeu stimulé par une saine rivalité avec d'autres groupes (passion cabaliste ), et est extrêmement varié puisque les phalanstériens changent d’occupation et de série toutes les deux heures (passion de la papillonne ). En plus d'être satisfaites par l'organisation du travail, les passions sont également mises à l'honneur au cours des plages de loisir allouées à leur développement et à leur stimulation. L'éducation des enfants dans le phalanstère ne poursuit d'ailleurs pas d'autre but que de révéler leurs passions et d'apprendre aux bambins à les exploiter pour les mettre au service de la communauté.

Au niveau politique, l'inégalité (comme la propriété privée) est possible dans le phalanstère, mais elle est tempérée par la pratique de nombreuses activés en commun (travail, repas, éducation, etc.) ainsi que par les besoins concrets de la communauté qui reste souveraine. Les inégalités permises par le maintien de la propriété privée sont encadrées par la structure politique du phalanstère, et par le simple fait qu'il n'y ait pas d'usage à avoir une trop grande richesse dans le phalanstère, puisque l’organisation de la vie en commun ne laisse que très peu de domaines où l’argent peut jouer son rôle de marqueur social. La richesse ne dispense pas du travail, pas plus qu’elle ne permet d’acheter des produits de luxe. Au mieux, elle permet d’accéder à un plus grand appartement dans le phalanstère.

Ainsi, le phalanstère présente une solution originale aux travers de la société industrielle et aux excès de la moralité chrétienne étouffante qui, selon Fourier, parce qu'elle ne comprend pas ou refuse de voir la nature passionnelle de l'homme, combat les passions, réprime ses tendances naturelles et cause son malheur social. Au contraire, dans le phalanstère, les treize passions fondamentales composant l'homme peuvent enfin s'intégrer harmonieusement à l'organisation sociale, car celle-ci est déduite de l'analyse scientifique de la nature passionnelle de l'être humain. Le travail tel que repensé par Fourier est à l'opposé du travail industriel répétitif, trop intense, éprouvant, solitaire, exercé dans des conditions insalubres, et ne laissant aucune place au loisir, à l'éducation et au développement personnel. De même, l'inégalité permise par l'accumulation infinie de capital est tempérée par le fait que c'est la communauté qui ultimement détient le capital ainsi que par l’organisation de la vie en commun qui réduit drastiquement les marqueurs sociaux. Sans supprimer la propriété privée et l'inégalité, Fourier conserve les principes qu'il juge positifs et fondés sur des passions humaines, mais il en supprime les conséquences négatives dans l’organisation sociale.

On retrouve ici cette dynamique de l’utopie qui caractérise de la même manière l’œuvre des autres socialistes utopiques évoqués. Fourier, Owen et Saint-Simon imaginent aussi de nouvelles formes possibles d'organisation sociale qui remédient aux problèmes qu'ils observent, et leurs utopies sont autant de moyens de souligner les défauts et travers de la société industrielle auxquels il s’agit selon eux de remédier en priorité, en réorganisant le travail et l’organisation sociale pour Fourier, en mettant le travail et l’énergie de l’industrie au service du progrès et de l’humanité selon Saint-Simon, et en réorganisant la production industrielle sur le mode de l’autogestion selon Owen.

4. La dynamique de l'utopie

Qu'est-ce qui, après ce bref tour d'horizon, peut alors nous permettre de définir l'utopie et la distinguer de la fiction ? Se défaisant de ce qui est, ces deux genres projettent le lecteur dans un univers imaginaire, régi par d'autres lois, habité par d’autres hommes. Mais là où la fiction s'affranchit plus ou moins complètement du réel, nous avons vu que les utopies étudiées ont pour caractéristique de se développer dans un espace possible, dans un lieu « plausible » qui ordonne ce qui est donné d'une autre façon meilleure qui n'existe pas encore. A ce titre, nous pouvons comprendre l'utopie comme un « ici-ailleurs » possible et désiré. Elle est un « bon-lieu » (eu-topia ) qui se construit dans un « non-lieu » (u-topia) – un lieu où ce principe supérieur n'existe pas (encore) - , mais toujours à partir d'un « lieu », d'un contexte à partir duquel elle prend une valeur et apparaît comme légitime et désirable. L'utopie, par définition, n'est pas réalisée, mais elle est réalisable, et mérite que l’on essaye de la réaliser. La difficulté réside dans le fait que sa réalisation n’est pas donnée, qu’elle est plutôt un horizon vers lequel on peut marcher en empruntant de multiples chemins, dont certains mènent à des récupérations politiques qui n’ont que peu à voir avec les idéaux dépeints dans l’utopie vers laquelle on pensait marcher.

A la différence de la fiction, l’utopie est donc possible-plausible, et mérite que l'on s'attache à la réaliser. A la différence du programme politique, elle est irréalisable immédiatement car elle postule un « autre homme », un homme transformé et guidé par de meilleurs principes, et/ou d' « autres institutions » qui réaliseraient enfin une société plus juste, plus belle ou plus égale. A la différence de la dystopie, elle ne dépeint pas une société possible-plausible mais non désirable , comme la société totalitaire décrite dans le magistral 1984 de Georges Orwell. A la différence de l’uchronie, elle ne reconstruit pas l’histoire à partir d’une bifurcation passée, mais tente plutôt d’en infléchir le futur en montrant que d’autres possibles que celui vers lequel se dirige spontanément la société existent. In fine , la particularité de l'utopie est sans doute de se tenir dans cette zone grise, dans la zone du possible-plausible, désirable et réalisable, d'où elle tire sa force mobilisatrice en vue d’infléchir le cours spontané de l’histoire. Elle se situe toujours dans un entre-deux entre le réel et l'irréel, le possible et l'impossible, dans le domaine des fictions certes, mais des fictions qui méritent d'être.

En guise de conclusion, soulignons que toute utopie révèle en quelque sorte le jugement qu'une époque porte sur elle-même et sur ses travers : une utopie (sup)portée par une fraction importante de la société nous montre d'une part quels sont les problèmes auxquels cette partie de la société juge nécessaire de remédier, et d'autre part comment, et selon quel idéal, il est possible-plausible de le faire. En conséquence, nous pouvons apprendre énormément sur nos propres sociétés en étudiant les utopies qu'elles produisent. La diversité des pensées utopiques qui sont apparues ces trente dernières années traduit à ce titre la multiplicité des approches critiques de la modernité. Par exemple : l'utopie d'une technique au service d'un projet humain « convivial » d'Ivan Illich traduit le risque d'un asservissement de l'homme à la technique. L’allocation universelle conteste la place centrale, et obligatoire qu'a acquise le salariat dans nos sociétés en imaginant un monde où le travail serait un choix libre et volontaire. L'utopie castoriadienne d'une société autonome, c'est-à-dire capable de se donner collectivement et de façon directe et critique ses propres lois, exprime une critique vive de la dépolitisation et du désintéressement de l'individu contemporain. Enfin, le fait que les utopies de Fourier ou de Thomas More stimulent encore notre réflexion politique aujourd'hui (alors que celle de Platon nous semble soit inactuelle, soit paradoxalement réalisée par le pouvoir des experts et des technocrates) nous enseigne que les travers qu'elles critiquaient à leur époque nous préoccupent toujours, et que leurs utopies sont encore les nôtres. Si les possibles que toutes ces utopies nous font miroiter nous semblent encore désirables, il nous faut alors nous mobiliser pour faire en sorte que, comme l'a écrit Victor Hugo : « l'utopie [soit] la vérité de demain ». C'est à ce titre que l'utopie peut être un puissant moteur politique.

Bibliographie:

Les utopies de Platon et de More sont développées dans les ouvrages suivants.

- Platon. La République . GF. Paris: Flammarion, 2002.

- More, Thomas. L’Utopie . Folio Classique. Paris: Gallimard, 2012.

Ce sont deux textes très agréables à lire. La République peut tout à fait être « picoré » : le lecteur trouvera certainement matière à réflexion en l’ouvrant au hasard et en se plongeant dans l’un des multiples dialogues sur des sujets dont la plupart sont indémodables. A noter que les dispositions qui concernent la propriété et la justice dans la répartition des biens se trouvent essentiellement dans le cinquième des dix livres.

L’Utopie se présente comme un récit de voyage, et est à ce titre également très facile d’accès. Une lecture rapide et intéressante qui dépeint une autre Angleterre, qui à bon nombre d’égards fait encore rêver.

La situation est plus compliquée pour les modernes, puisque leurs utopies ne se laissent en général pas réduire à un seul texte. Le lecteur intéressé par le socialisme utopiste de Owen pourra s’introduire avantageusement à ses travaux en consultant :

- Owen, Robert. Le Livre Du Nouveau Monde Moral, Contenant Le Système Social Rationnel, Basé Sur Les Lois de La Nature Humaine , trad. T.W. Thornton. Paris: Paulin Editeur 1847. (Accessible en ligne via Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6534888k/f11.image)

Pour Fourier et Saint-Simon, leurs œuvres complètes reprennent tous leurs textes publiés et bon nombre d’inédits, et constituent à ce titre les éditions de référence :

- Fourier, Charles. Œuvres Complètes de Charles Fourier , 6 Vol., ed. Simone Debout, Paris: Anthropos, 1966.

- Saint-Simon, Claude-Henri de. Oeuvres complètes , 4 vol., ed. Juliette Grange, Pierre Mussot, Philippe Régnier, Frank Yonnet, Paris : Presses Universitaires de France, 2013.

Pour le lecteur qui devant cette masse d’écrits ne saurait guère par où débuter la découverte des socialismes utopiques, une bonne solution est l’anthologie « Les socialistes de l’utopie » réalisée par Dominique Desanti :

Desanti, Dominique. Les Socialistes de l’utopie . Petite Bibliothèque Payot. Paris: Payot, 1970.

A côté de courts textes introduisant brièvement à la vie et à la pensée des principaux socialistes utopiques, le livre reprend des fragments choisis des textes les plus marquants de ces auteurs. Le lecteur intéressé par une « histoire » des socialistes utopiques pourra également consulter avantageusement le livre de Jean-Christian Petitfils, qui situe et présente chapitre par chapitre la pensée des utopistes qui ont marqué le 19 ème siècle :

Petitfils, Jean Christian. Les socialismes utopiques . Coll. « L’historien ». Paris : Presses Universitaires de France, 1977.

Enfin, pour les débats contemporains sur l’utopie, le lecteur intéressé ne peut manquer de consulter l’œuvre de Miguel Abensour, décédé en 2017, qui a consacré de très nombreuses pages à la défense de l’utopie contre les accusations de totalitarisme. Il affirme au contraire que l’utopie est une ouverture nécessaire sur le possible, qui se justifie précisément parce qu’elle vient nourrir notre rapport au présent. Une possibilité pour se plonger dans les travaux de cet auteur est de commencer par Le procès des Maîtres rêveurs, mais il en existe de nombreuses autres:

Abensour, Miguel. Le Procès des maîtres rêveurs . Paris : Les Editions de la Nuit, 2011, 204p

Université Libre de Bruxelles

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Fabri, Eric. « Utopie (GP) ». Maxime Kristanek, L'encyclopédie philosophique , consulté le 16 septembre 2024, https://encyclo-philo.fr/utopie-gp

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